Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/277

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et de sublime ; mais il n’a au fond rien de solide : l’édifice sans base est prompt à crouler. De même la colère est dénuée d’appuis : rien de ferme et de stable ne soutient son audace, qui n’est que vent et fumée, qui diffère autant de la grandeur d’âme que la témérité du courage, la présomption de la confiance, l’humeur farouche de l’austérité, la cruauté de la sévérité. Qu’il y a loin du sublime des sentiments aux folies de l’orgueil ! La colère n’eut jamais de grandes, de généreuses inspirations. Je vois, au contraire, dans ses habitudes de plainte et d’aigreur, les symptômes d’une âme abattue, malheureusement née, et qui sent sa faiblesse. Le malade, couvert d’ulcères, gémit au moindre contact ; ainsi fait la colère, surtout chez les femmes et chez les enfants. « Mais les hommes mêmes y sont sujets ? — C’est que les hommes aussi ont le caractère des enfants et des femmes. Eh ! n’est-il donc pas également des propos tenus dans la colère, qu’on trouve magnanimes quand on ignore la vraie grandeur, tel que ce mot infernal, exécrable : Qu’on me haïsse pourvu qu’on me craigne ; mot qui respire le siècle de Sylla. » Je ne sais ce qu’il y a de pis dans ce double vœu : la haine ou la terreur publique. Qu’on me haïsse ! Tu vois dans l’avenir les malédictions, les embûches, l’assassinat; que veux-tu de plus ? Que les dieux te punissent d’avoir trouvé un remède aussi affreux que le mal ! Qu’on te haïsse ! Et quoi ensuite ? Pourvu qu’on t’obéisse ? non. Pourvu qu’on t’estime ? non. Pourvu que l’on tremble. Je ne voudrais pas de l’amour à ce prix. On se figure que ce mot est grand. Quelle erreur ! il n’y a point là de la grandeur, mais de la férocité.

N’ayez pas foi au langage de la colère : elle menace, elle tem-