Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/341

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au bourreau sa gloire, le défier à une seconde épreuve qui montrât mieux sur le père lui-même la sûreté de son bras ? Fut-il jamais tyran plus sanguinaire, plus digne de servir de but aux flèches de tous ses sujets ? Mais, tout en livrant à l’exécration un homme qui couronne ses orgies par les supplices et par le meurtre, avouons que le panégyriste était plus infâme que le héros. Ne cherchons pas ici quelle devait être la conduite du père, cause et témoin de l’assassinat d’un fils dont le cadavre était à ses pieds ; voyons-y la preuve qu’il s’agit d’établir : qu’on peut étouffer ses ressentiments. Prexaspe ne proféra ni imprécation contre le tyran, ni aucune de ces plaintes qu’arrachent les grandes infortunes, lui qui se sentait percer le cœur du même coup que celui de son fils. On peut soutenir qu’il fit bien de dévorer le cri de sa douleur ; car s’il eût parlé en homme irrité, il perdait la chance d’agir plus tard en père. Son silence, on peut le croire, fut plus sage que ses leçons de tempérance à un monstre qu’il valait mieux gorger de vin que de sang, et dont la main, tant qu’elle tenait la coupe, faisait trêve aux massacres. Ainsi Prexaspe grossit la liste de ceux qui ont prouvé, par d’éclatantes disgrâces, ce qu’un bon conseil coûte aux amis des rois.

XV. Sans doute Harpage en avait donné un de cette nature à son maître, aussi roi de Perse, quand ce dernier, s’estimant offensé, lui fit servir à table la chair de ses propres fils ; puis lui demanda, à plusieurs reprises, si l’assaisonnement lui plaisait, et lorsqu’il vit le malheureux rassasié de cet horrible mets, il fit apporter les têtes, ajoutant cette question : « Comment trouvez-vous que je vous ai régalé ? » Eh bien ! Harpage trouva