Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/20

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soi relèguent au rang des troupeaux et des brutes, dont rien ne le distingue. Car si la raison chez ceux-ci est nulle, celui-là en a une dépravée, qui n’est habile qu’à le perdre et à pervertir toutes ses voies. Le titre d’heureux n’est pas fait pour l’homme jeté en dehors de la vérité ; partant, la vie heureuse est celle dont un jugement droit et sûr fait la base immuable. Il n’est d’esprit serein et dégagé de toute affliction que celui qui, échappant aux plaies déchirantes comme aux moindres égratignures, reste à jamais ferme où il s’est placé, certain de garder son assiette en dépit des colères et des assauts de la fortune. Quant à la volupté, dût-elle nous assiéger de toutes parts, s’insinuer par tous nos sens, flatter notre âme de ses mille caresses successivement renouvelées, et solliciter ainsi tout notre être et chacun de nos organes, quel mortel, si peu qu’il lui restât de l’homme, voudrait être chatouillé nuit et jour, et renoncer à son âme pour ne plus songer qu’à son corps ?


VI. « Mais l’âme aussi, dit l’épicurien, aura ses voluptés. » Qu’elle les ait donc, qu’elle siège en arbitre de la mollesse et des plaisirs, saturée de tout ce qui délecte les sens ; qu’elle porte encore ses regards en arrière et s’exalte au