Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/54

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la plus grande des servitudes ; de là une vie d’anxiété, de soupçons, d’alarmes ; il redoute les événements, il est suspendu à leurs moindres chances. Ce n’est pas là donner à la vertu un fondement fixe et inébranlable : c’est la vouloir ferme sur un point mobile. Quoi de plus mobile, en effet, que l’attente des choses fortuites, que les révolutions du corps et des objets qui l’affectent ? Comment peut-il obéir à Dieu, prendre en bonne part tout ce qui arrive, ne pas se plaindre du destin, et expliquer favorablement ses disgrâces, l’homme qu’agitent les plus légères pointes de la douleur ou du plaisir ? On n’est pas même bon pour défendre ou venger sa patrie, ni pour soutenir ses amis, quand le cœur penche vers les voluptés. Que le souverain bien s’élève donc à une hauteur d’où nulle violence ne l’arrache, où n’aborde ni la douleur, ni l’espérance, ni la crainte, ni rien qui porte atteinte à son sublime privilège. Or une telle hauteur n’est accessible qu’à la seule vertu ; ces âpres sentiers ne seront gravis que par elle : elle s’y tiendra ferme et supportera, voudra même tout ce qui pourra survenir, car elle saura que toutes ces difficultés accidentelles sont une loi de la na-