Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/88

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devant le prêteur ou devant nos amis, il n’importe : partout où il y a un homme, il y a place pour le bienfait. Le sage peut donc aussi répandre l’argent dans son particulier et y pratiquer la libéralité, vertu ainsi appelée non qu’elle se doive aux hommes libres seuls, mais parce qu’elle part d’un cœur libre. Les bienfaits du sage ne se jettent jamais à des hommes flétris et indignes, comme aussi jamais ne s’épuisent et ne s’éparpillent tellement, qu’à l’aspect de qui les mérite ils ne puissent plus couler à pleine source. N’allez donc pas interpréter à faux ce que disent de moral, de courageux, de magnanime les aspirants de la sagesse ; et d’abord, prenez-y bien garde : autre est l’aspirant, autre est l’adepte de la sagesse. Le premier vous dira : « Je parle vertu ; mais je me débats encore au milieu d’une foule de vices. Ne me jugez pas d’après la règle que j’ai posée moi-même ; en ce moment je travaille à me faire, à me former, je m’élève vers un idéal sublime. Quand j’aurai atteint complètement mon but, vous pourrez exiger que mes œuvres répondent à mon langage. » Mais l’homme arrivé au bien suprême plaidera autrement sa cause, et dira : « D’abord il ne vous appartient pas de vous porter juges de ceux qui