Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 445 —


1676que si vous dites, après avoir lu la première, j’en voudrois bien une autre, la voici qui se présentera, et vous dira que je suis à Montargis avec la bonne d’Escars, en très-bonne santé, hormis ces mains et ces genoux. Voici une route, ma fille, où vous passez : j’ai évité Fontainebleau ; je ne veux le revoir que pour aller au-devant de vous. J’ai couché à Courance[1], où je me serois bien promenée, si je n’étois point encore une sotte poule mouillée ; c’est mouillée au pied de la lettre, car je sue tout le jour. J’ai encore des peaux de lièvre, parce que le frais du matin, qui donne la vie à tout le monde, me paroît un hiver glacé ; de sorte que j’aime mieux avoir trop chaud dix heures durant, que d’avoir froid une demi-heure. Que dites-vous de ces agréables restes de rhumatisme ? Ne croyez-vous pas que j’aie besoin des eaux chaudes ? sauf à me rafraîchir à mon retour, car mes entrailles ne sont pas à la glace. Enfin me voilà en chemin, et même dans votre chemin. Nous parlons souvent de vous, la d’Escars et moi, et j’y pense sans cesse. Il faudroit être spensierata[2], dit-on, pour bien prendre les eaux : il est difficile que je sois dans cet état bienheureux, étant si loin du bon abbé ; il me semble toujours qu’il va tomber malade. Savez-vous comme je l’ai laissé ? Avec un seul laquais. Il a voulu me donner ses deux chevaux pour m’en faire six, avec son cocher et Beaulieu : il n’y a que l’ingratitude qui puisse me tirer d’affaire. Adieu, ma très-chère : hélas ! à quoi me sert de m’approcher de vous ? Je vous plains de ne m’avoir plus à Paris pour vous mander des nouvelles de la Brinvilliers.

  1. À quatre lieues de Melun et douze lieues de Montargis. Courance est une commune du canton de Milly, arrondissement d’Étampes (Seine-et-Oise).
  2. Sans penser, nonchalante.
    ____________