Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


vous aimons et vous estimons fort ; le bon abbé a place aussi dans nos cœurs.


1677

* 670. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE ET À LA COMTESSE DE GUITAUT.

Paris, lundi 15e novembre.

Comment vous portez-vous, Monsieur et Madame, de votre voyage ? Vous avez eu un assez beau temps ; pour moi, j’ai eu une colique néphrétique et bilieuse (rien que cela), qui m’a duré depuis le mardi, lendemain de votre départ, jusques à vendredi. Ces jours sont longs à passer, et si je voulois vous dire que depuis que vous êtes partis, les jours m’ont duré des siècles, il y auroit un air assez poétique dans cette exagération, et ce seroit pourtant une vérité. Je fus saignée le mercredi à dix heures du soir, et parce que je suis très-difficile, on m’en tira quatre palettes, afin de n’y pas revenir une seconde fois ; enfin à force de remèdes, de ce que l’on appelle remèdes, dont on compteroit aussitôt le nombre que celui des sables de la mer, je me suis trouvée guérie le vendredi ; le samedi on me purge, afin de ne manquer à rien ; le dimanche je vais à la messe, avec une pâleur honnête, qui faisoit voir à mes amis que j’avois été digne de leurs

    être pas de faire quelquefois de ces sortes de répétitions, aussi bien que les plus honnêtes gens, et cela ne vous alarmoit point alors ; aujourd’hui vous croyez être fort baissée par ce seulement que vous passez la quarantaine (Mme de Sévigné avait alors cinquante et un ans et neuf mois) ; ce n’est que cela qui vous y fait prendre garde : sur ma parole, Madame, vous n’avez jamais eu l’esprit si agréable que vous l’avez, quoique pour l’esprit, aussi bien que pour le corps, vous ayez été la plus jolie femme de France. Vous verrez ce que vous souhaitez….car j’aurois peine… et vous estimons bien ; le bon abbé, etc »