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chère enfant, comme cela s’est fait. M. de Chaulnes me dit[1] « Madame, vous devriez venir avec nous à Vannes, voir le premier président[2]; il vous a fait des civilités depuis que vous êtés dans la province : c’est une espèce de devoir à une femme de qualité. » Je n’entendis point cela, je lui dis : « Monsieur, je meurs d’envie de m’en aller à mes Rochers, dans un repos dont on a besoin quand on sort d’ici, et que vous seul pouvez[3] me faire quitter. » Cela demeure. Le lendemain, Mme de Chaulnes me dit tout bas à table : « Ma chère gouvernante, vous devriez venir avec nous ; il n’y a qu’une couchée d’ici à Vannes ; on a quelquefois besoin de ce parlement. Nous irons ensuite à Aurav, qui n’est qu’à trois lieues de là ; nous n’y serons point accablés ; nous reviendrons dans quinze jours. Je lui répondis encore un peu trop simplement : « Madame, vous n’avez point besoin de moi, c’est une bonté ; je ne vois rien qui m’oblige à ménager ces Messieurs ; je m’en vais dans ma solitude, dont j’ai un véritable besoin. » Mme de Chaulnes se retire assez froidement tout d’un coup mon imagination fait un tour, et je songe « Qu’est-ce que je refuse à des gens à qui je dois mille amitiés et mille complaisances ? Je me sers de leur carrosse et d’eux quand cela m’est commode, et je leur refuse un petit voyage où peut-être ils seroient bien aises de m’avoir. Ils pourroient choisir; ils me demandent cette complaisance avec timidité, avec honnêteté et moi, avec beaucoup de santé, sans aucune bonne raison, je les refuse, et c’est dans le temps que nous