Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/156

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se mettre au large derrière, et si loin de nous incommoder, que le chevalier de Tourville passa au même endroit d’où ils avoient été contraints de sortir, et ne savoit point ce qu’ils étoient devenus : il arriva à pleines voiles à la chambre[1] de Brest, où il a reçu mille louanges d’avoir si bien jugé et profité du vent. M. de Seignelai est dans son bord, faisant grande chère. Le comte d’Estrées[2]est son ami, et lui donne souvent à manger. Pour le maréchal, il le voit peu[3]; il est à terre, recevant les secondes visites et tenant une table qui souvent n'est pas

  1. 3. «  » On appelle chambre la partie intérieure d’un port où on retire les vaisseaux, qu’on nomme autrement paradis, et darcîne, ou bassin. » (Dictionnaire de Furetière.)
  2. 4. Victor-Marie comte d’Estrées, fils du maréchal Jean (voyez tome I, p. 413, note 2, et tome II, p. l21, note 4), né le 30 novembre 1660, reçu en survivance de son père à la charge de vice-amiral le 12 décembre 1684, maréchal avec le titre de maréchal de Cœuvres en 1703, membre de l’Académie française en 1715, membre honoraire de l’Académie des sciences et de celle des inscriptions et belles-lettres. II mourut le 28 décembre 1737, sans postérité. Il avait épousé le 30 janvier 1698 Lucie-Félicité de Noailles, dame du palais de la Dauphine, fille du maréchal de Noailles, morte le il janvier 1745. «  C’était, dit Saint-Simon (tome IV, p. 83 et 84), un fort honnête homme, mais qui ayant été longtemps fort pauvre, ne s’épargna pas à se faire riche du temps du fameux Law, dans la dernière régence, et qui y réussit prodigieusement, mais pour vivre dans une grande magnificence et fort désordonnée. Ce qu’il amassa de livres rares et curieux, d’étoffés, de porcelaines, de diamants, de bijoux, de curiosités précieuses de toutes les sortes, ne se peut nombrer, sans en avoir jamais su user. Il avoit cinquante-deux mille volumes, qui toute sa vie restèrent en ballots…. Avec de la capacité, du savoir et de l’esprit, c’étoit un esprit confus. La Vrillière disoit de lui que c’était une bouteille d’encre,qui, renversée, tantôt ne donnait rien, tantôt filait menu, tantôt laissoit tomber de gros bourbillons, et cela étoit vrai de sa manière de rapporter et d’opiner. Il étoit avec cela fort bon homme, doux et poli dans le commerce, et de bonne compagnie mais bien glorieux et aisé à égarer, grand courtisan, quoique non corrompu. » -- Voyez la lettre du 20 novembre suivant.
  3. 5. « Mais le maréchal le voit peu. » (Édition de 1754.)