Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/156

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Sévigné en Provence, comme celle qu’elle a trouvée en Bretagne ; c’est cela qui rend son gouvernement beau, car quelle autre chose pourrait-ce être ? Quand son mari sera venu, je la remettrai entre ses mains, et ne m’embarrasserai plus de son divertissement ; mais vous, ma chère fille, que je vous plains avec votre tante d’Harcourt [1]! quelle contrainte ! quel embarras ! quel ennui ! Voilà qui me ferait plus de mal mille fois qu’à personne, et vous seule au monde seriez capable de me faire avaler ce poison. Oui, mon enfant, je vous le jure et si j’étais à Grignan, j’écumerais votre chambre pour vous faire plaisir, comme j’ai fait mille fois-: après cette marque d’amitié, ne m’en demandez plus, car je hais l’ennui plus que la mort, et j’aimerais fort à rire avec vous, Vardes et le seigneur Corbeau. Défaites-vous de cette trompette du jugement : il y a vingt ans qu’elle me déplaît, et que je lui dois une visite.

Je trouve votre vie fort réglée et fort bonne. Notre abbé vous aime avec une tendresse et une estime qu’il n’est pas aisé de dire en peu de mots ; il attend avec impatience le plan de Grignan et la conversation de M. d’Arles ; mais, sur toutes choses, il vous souhaiterait bien cent mille écus, soit pour faire achever votre château, soit pour tout ce qu’il vous plairait. Toutes les heures ne sont pas comme celles qu’on passe avec Pomenars, et même on s’ennuierait bientôt de lui : les réflexions qu’on fait sont bien contraires à la joie. Je vous ai mandé que je croyais que je ne bougerais d’ici ou de Vitré. Notre abbé ne peut quitter sa chapelle : le désert de Buron [2], ou l’ennui de Nantes avec madame de Molac, ne conviennent point à son humeur agissante. Je serai souvent ici ; et madame de Chaulnes, pour m’ôter les visites, dira toujours qu’elle m’attend. Pour mon labyrinthe, il est net, il a des tapis verts, et les palissades sont à hauteur d’appui ; c’est un aimable lieu : mais, hélas ! ma chère enfant, il n’y a guère d’apparence que je vous y voie jamais.

Di mcmoria nudrirsi, più che di speme.

C’est bien ma vraie devise. Nos sentences ont été trouvées jolies. Ne comprenez-vous pas bien qu’il n’y a jour, ni heure, ni moment,

  1. Elle était venue à Grignan voir son neveu, Elle habitait ordinairement le Pont-Saint-Esprit.
  2. Terre de M. de Sévigné, située à quelques lieues de Nantes.