Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voyé des chansons à sa sœur ; nous ne les trouvons pas trop bonnés : je suis fort aise que vous ayez approuvé les miennes ; on ne peut pas les élever plus haut que de les mettre sur le ton des dragons ; il me semble que j’aurais dû l’entendre d’ici ; cela fait voir qu’il y a bien loin d’ici à Grignan. Hélas ! que cette pensée m’afflige, et que je m’ennuie d’être si longtemps sans vous voir ! Adieu, ma chère fille ; je vais me coucher tristement, et vous embrasse de tout mon cœur.

Ma petite est aimable, et sa nourrice est au point de la perfection : mon habileté est une espèce de miracle, et me fait comprendre en amitié la merveille de ce maréchal qui devint excellent peintre par amour.


61. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN,

Aux Rochers, mercredi 5 août 1671.

Je suis bien aise que M. de Coulanges vous ait mandé les nouvelles. Vous apprendrez encore la mort de M. de Guise, dont je suis accablée quand je pense à la douleur de MUe de Guise. Vous jugez bien, ma fille, que ce ne peut être que par la force de mon imagination que cette mort m’inquiète ; car, du reste, rien ne troublera moins le repos de ma vie. Vous savez comme je crains les reproches qu’on se peut faire à soi-même. Mademoiselle de Guise n’a rien à se reprocher que la mort de son neveu ; elle n’a jamais voulu qu’il ait été saigné ; la quantité du sang a causé le transport au cerveau : voilà une petite circonstance bien agréable. Je trouve que dès qu’on tombe malade à Paris, on tombe mort ; je n’ai jamais vu une telle mortalité. Je vous conjure, ma chère bonne, de vous bien conserver ; et s’il y avait quelques enfants à Grignan qui eussent la petite vérole, envoyez-les à Montélimart : votre santé est le but de tous mes désirs.

Vous aurez maintenant des nouvelles de nos états, pour votre peine d’être Bretonne. M. de Chaumes arriva dimanche au soir, au bruit de tout ce qui peut en faire à Vitré : le lundi matin il m’écrivit une lettre ; j’y fis réponse par aller dîner avec lui. On mange à deux tables dans le même lieu ; il y a quatorze couverts à chaque table ; Monsieur en tient une, et Mada me l’autre. La bonne chère est excessive, on remporte les plats de rôti tout entiers ; et pour les pyramides de fruits, il faut faire hausser les portes. Nos pères ne prévoyaient pas ces sortes de machines, puisque même ils