Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne comprenaient pas qu’il fallût qu’une porte fût plus haute qu’eux. Une pyramide veut entrer, une de ces pyramides qui font qu’on est obligé de s’écrire d’un bout de la table à l’autre ; mais, bien loin que cela blesse ici, on est souvent fort aise, au contraire, de ne plus voir ce qu’elles cachent : cette pyramide donc, avec vingt ou trente porcelaines, fut si parfaitement renversée à la porte, que le bruit qu’elle causa fit taire les violons, les hautbois et les trompettes. Après le dîner, MM. de Locmaria et Coëtlogon dansèrent avec deux Bretonnes des passe-pieds merveilleux, et des menuets, d’un air que les courtisans n’ont pas à beaucoup près : ils y font des pas de Bohémiens et de bas Bretons avec une délicatesse et une justesse qui charment. Je pensais toujours à vous ; et j’avais un souvenir si tendre de votre danse et de ce que je vous avais vue danser, que ce plaisir me devint une douleur. On parla fort de vous. Je suis assurée que vous auriez été ravie de voir danser Locmaria : les violons et les passe-pieds de la cour font mal au cœur au prix de ceux-là : c’est quelque chose d’extraordinaire que cette quantité de pas différents, et cette cadence courte et juste ; je n’ai point vu d’homme danser comme Locmaria cette sorte de danse. Après ce petit bal, on vit entrer tous ceux qui arrivaient en foule pour ouvrir les états. Le lendemain, M. le premier président, MM. les procureurs et avocats généraux du parlement, huit évêques, MM. deMolac, la Coste et Coëtlogon le père, M. Boucherat[1], qui vient de Paris, cinquante bas Bretons dorés jusqu’aux yeux, cent communautés. Le soir devaient venir madame de Rohan d’un côté, et son fils de l’autre, et M. de Lavardin, dont je suis étonnée [2]. Je ne vis point ces derniers, car je voulus venir coucher ici, après avoir été à la tour de Sévigné voir M. d’Harouïs et MM. de Fourché et Chesières, qui arrivaient. M. d’Harouïs vous écrira ; il est comblé de vos honnêtetés : il a reçu deux de vos lettres à Nantes, dont je vous suis encore plus obligée que lui. Sa maison va être le Louvre des états : c’est un jeu, une chère, une liberté jour et nuit qui attirent tout le monde. Je n’avais jamais vu les états ; c’est une assez belle chose. Je ne crois pas qu’il y ait une province rassemblée qui ait un aussi grand air que celle-ci ; elle doit être bien pleine du moins, car il n’y en a pas un seul à la guerre ni à la cour ; il n’y a que le petit Gui

  1. Depuis chancelier de France.
  2. M. de Lavardin était lieutenant général au gouvernement de Bretagne.