Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/227

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honneur, comme d’un sentiment convenable à sa profession. On croit que nous aurons, entre ci et demain, un premier président de Provence. Te vous remercie de votre relation de la Sainte-Baume et de votre jolie bague ; je vois que le sang n’a pas bien bouilli à votre gré. Madame la Palatine a eu une fois la même curiosité que vous ; elle n’en fut pas plus satisfaite. Vous ne m’ôterez pas l’envie de voir cette affreuse grotte ; plus on y a de peine, plus il faut y aller ; et, au bout du compte, je ne m’en soucie que faiblement : je ne cherche que vous en Provence ; quand je vous aurai, j’aurai tout ce que je souhaite. Ma tante est toujours très-mal ; laissez-nous le soin de partir, nous ne souhaitons autre chose ; et même s’il y avait quelque espérance de langueur, nous prendrions notre parti ; je lui dis mille tendresses de votre part, qu’elle reçoit très-bien. M. de la Trousse lui en a écrit d’excessives ; ce sont des amitiés de l’agonie, dont je ne fais pas grand cas ; j’en quitte ceux qui ne commenceraient que là à m’aimer. Ma fille, il faut aimer pendant la vie, comme vous faites ; la rendre douce et agréable, ne point noyer d’amertume et combler de douleur ceux qui nous aiment ; il est trop tard de changer quand on expire. Vous savez comme j’ai toujours ri des bons fonds ; je n’en connais que d’une sorte, et le vôtre doit contenter les plus difficiles. Je vois les choses comme elles sont : croyez-moi, je ne suis point folle ; et pour vous le montrer, c’est qu’on ne peut jamais être plus contente d’une personne que je le suis de vous. J’enverrai à madame de Coulanges ce qui lui appartient de votre lettre ; elle sera mise en pièces : il m’en restera encore quelques centaines pour m’en consoler ; tout aimables qu’elles sont, je souhaite extrêmement de n’en plus recevoir. Venons aux nouvelles.

Le roi part demain. Il y aura cent mille hommes hors de Paris ; on a fait ce calcul dans les quartiers à peu près. Il y a quatre jours que je ne dis que des adieux. Je fus hier à l’Arsenal ; je voulais dire adieu au grand maître[1] qui m’était venu chercher ; je ne le trouvai pas, mais je trouvai la Troche, qui pleurait son fils, et la comtesse[2], qui pleurait son mari : elle avait un chapeau gris, qu’elle enfonçait, dans l’excès de ses déplaisirs ; c’était une chose plaisante ; je crois que jamais chapeau ne s’est trouvé à une pareille

  1. Le comte du Lucie, grand maître de l’artillerie.
  2. Renée-Éléonore de Bouille, première femme du comte du Lude, aimait beaucoup la chasse, et était toujours vêtue en homme.