Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/316

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affaires publiques nous doivent- elles être si chères ? Votre santé, votre famille, vos moindres actions, vos sentiments, vos pétoffes de Lambesc, c’est là ce qui me touche ; et je crois si bien que vous êtes de même, que je ne fais aucune difficulté de vous parler des PiOchers, de mademoiselle du Plessis, de mes allées, de mes bois, de nos affaires, du Bien bon et de Copenhague, quand l’occasion s’en présente. Croyez donc que tout ce qui vient de vous m’est très-considérable, et que, jusqu’à vos traînées de tapisseries, je suis aise de tout savoir. Si voulez encore des aiguilles pour en faire, j’en ai d’admirables : pour moi, j’en fis hier d’infinies, elles étaient aussi ennuyeuses que ma compagnie : je ne travaille que quand elle entre ; et, dès que je suis seule, je me promène, je lis, ou j’écris. La Plessis ne m’incommode pas plus que Marie. Dieu me fait la grâce de ne point écouter ce qu’elle dit ; je suis, à son égard, comme vous êtes pour beaucoup d’autres : elle a vraiment les meilleurs sentiments du monde : j’admire que cela puisse être gâté par l’impertinence de son esprit et la ridiculité de ses manières ; il faudrait voir l’usage qu’elle fait de ma tolérance, et comme elle l’explique, et les chaînes qu’elle en fait pour s’attacher à moi, et comme je lui sers d’excuse pour ne plus voir ses amies de Vitré, et les adresses qu’elle a pour satisfaire sa sotte gloire, car la sotte gloire est de tout pays, et la crainte qu’elle a que je ne sois jalouse d’une religieuse de Vitré : cela ferait une assez méchante farce de campagne.

Je dois vous dire des nouvelles de cette province. M. de Chaulnes est à Rennes avec beaucoup de troupes ; il a mandé que si on en sortait, ou si l’on faisait le moindre bruit, il ôterait, pour dix ans, le parlement de cette ville. Cette crainte fait tout souffrir : je ne sais point encore comme ces gens de guerre en usent à l’égard des pauvres bourgeois. Nous attendons madame de Chaulnes à Vitré, qui vient voir la princesse (de Tarente)-, nous sommes en sûreté sous ses auspices ; mais je puis vous assurer que, quand il n’y aurait que moi, M. de Chaulnes prendrait plaisir à me marquer des égards ; c’est la seule occasion où je pourrais répondre de lui : n’ayez donc aucune inquiétude ; je suis ici comme dans cette Provence que vous djtes qui est à moi.

Vous n’avez pas peur de Ruyter[1]. Ruyter pourtant est le dieu des combats ; Guitautne lui résiste pas : mais, en vérité, l’étoile

  1. Amiral de la flotte hollandaise.