Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/318

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ne saurait aimer ce présent, quand il songe qu’il fait tort à des créanciers qui ont donné leur argent de bonne foi : cela est héroïque. Jugez s’il est pour nous contre M. de Mirepoix[1] ; je ne connais point une plus belle ni une plus vilaine âme que celle de ces deux hommes. Le Bien bon est toujours le Bien bon ; ce sont des armes parlantes : les obligations que je lui ai sont innombrables ; ce qui me les rend sensibles, c’est l’amitié qu’il a pour vous, et le zèle pour vos affaires, et comme il se prépare à confondre le Mirepoix.

Je n’ose penser à vous voir ; quand cette espérance entre trop avant dans mon cœur, et qu’elle est encore éloignée, elle me fait trop de mal : je me souviens de ce que je souffris à la maladie de ma pauvre tante, et comme vous me fîtes expédier cette douleur ; je ne suis pas encore à portée de recevoir cette joie. Vous m’assurez que vous vous portez bien ; Dieu le veuille, ma bonne ! cet article me tient extrêmement au cœur : pour moi, je suis dans la parfaite santé. Vous aimeriez bien ma sobriété et l’exercice que je fais, et sept heures au lit, comme une carmélite. Cette vie dure me plaît ; elle ressemble au pays ; je n’engraisse point, et l’air est si épais et si humain, que ce teint, qu’il y a si longtemps que l’on loue, n’en est point changé : je vous souhaite quelquefois une de nos soirées, en qualité de pommade de pieds de mouton. J’ai dix ouvriers qui me divertissent fort. Rahuel et Pihis, tout est à sa place. Vous devez être persuadée de ma confiance par les pauvretés dont je remplis ma lettre. Depuis que je me suis plainte, en vers, de la pluie, il fait un temps charmant ; de sorte que je m’en loue en prose. Toute notre province est si occupée de ces punitions, que l’on ne fait point de visites ; et, sans vouloir contrefaire la dédaigneuse, j’en suis extrêmement aise. Vous souvient-il quand nous trouvions qu’il n’y avait rien de si bon, en province, qu’une méchante compagnie, par la joie du départ ? c’est un plaisir que je n’aurai point cette année.

Ma bonne, quand je vous écrirais encore quatre heures, je ne pourrais pas vous dire à quel point je vous aime, et de quelle manière vous m’êtes chère. Je suis persuadée du soin de la Providence sur vous, puisque vous payez tous vos arrérages, et que vous voyez

  1. M. de Sévigné témoigne de la haine contre M. de Mirepoix, à cause du procès de M. de Grignan avec les héritiers de mademoiselle du Puy-du-Fou, sa seconde femme.