Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/327

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voulais aller en carrosse rendre des devoirs, et n’être pas aux Rochers, je serais à Paris.

L’été de Saint-Martin continue, et mes promenades sont fort longues : comme je ne sais point l’usage d’un grand fauteuil, je repose mia corporea salma tout du long de ces allées ; j’y passe des jours toute seule avec un laquais, et je n’en reviens point que la nuit soit bien déclarée, et que le feu et les flambeaux ne rendent ma chambre d’un bon air : je crains l’entre-chien et loup quand on ne cause point, et je me trouve mieux dans ces bois que toute seule dans une chambre ; c’est ce qui s’appelle se mettre dans C eau, de peur de la pluie ; mais je m’accommode mieux de cette grande tristesse que de l’ennui d’un fauteuil. Ne craignez point le serein, ma fille, il n’y en a point dans les vieilles allées, ce sont des galeries ; ne craignez que la pluie extrême, car, en ce cas, il faut revenir, et je ne puis rien faire qui ne me fasse mal aux yeux : c’est pour conserver ma vue que je vais à ce que vous appelez le serein ; ne soyez en aucune peine de ma santé, je suis dans la très-parfaite.

Je vous remercie du goût que vous avez pour Joseph ; n’est-il pas vrai que c’est la plus belle histoire du monde ? Je vous envoie par Ripert une troisième partie des Essais de morale, que je trouveadmirable : vous direz que c’est la seconde, mais ils font la seconde de l’éducation d’un prince, et voici la troisième. Il y a un traité De la connaissance de soi-même, dont vous serez fort contente ; il y en a un De l’usage qu’on peut jaire des mauvais sermons, qui vous eût été bon le jour de la Toussaint. Vous faites bien, ma fille, de ne vouloir point oublier l’italien ; je fais comme vous, j’en lis toujours un peu.

Ce que vous dites de M. de Chaulnes est admirable. Il fut hier roué vif un homme à Rennes (c’est le dixième), qui confessa d’avoir eu dessein de tuer ce gouverneur : pour celui-là, il méritait bien la mort. Les médecins de ce pays ne seront pas si complaisants que ceux de Provence, qui accordent par respect à M. de Grignan qu’il a la fièvre ; ceux-ci compteraient pour rien la fièvre pourprée à M. de Chaulnes, et nulle considération ne pourrait leur faire avouer que son mal fût dangereux. On voulait, en exilant le parlement, le faire consentir, pour se racheter, qu’on bâtit une citadelle à Rennes ; mais cette noble compagnie voulut obéir fièrement. et partit plus vite qu’on ne voulait ; car tout se tourne-