Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/381

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dès le commencement ; j’y suis très-résolue. Il n’y a qu’à voir ces messieurs pour ne vouloir jamais les mettre en possession de son corps : c’est de l’arrière-main qu’ils ont tué Beat/jeu. J’ai pensé vingt fois à Molière depuis que je vois tout ceci. J’espère cependant que cette pauvre femme échappera, malgré tous leurs mauvais traitements : elle est assez tranquille, et dans un repos qui lui donnera la force de soutenir le redoublement de cette nuit.

J’ai vu madame de Saint-Géran, elle n’est nullement déconfortée[1] ; sa maison sera toujours un réduit cet hiver : M. de Grignan y passera ses soirées amoureusement. Elle s’en va à Versailles comme les autres ; je vous assure qu elle prétend jouir de ses épargnes, et vivre sur sa réputation acquise ; de longtemps elle n’aura épuisé ce fonds. Elle vous fait mille amitiés ; elle est engraissée, elle est fort bien. Je vous conjure, ma fille, de faire encore mes excuses au grand Roquesante, si je ne lui fais pas réponse. Vous me mandez des merveilles de son amitié ; je n’en suis nullement surprise, connaissant son cœur comme je fais ; il mérite, par bien des raisons, la distinction et l’amitié que vous avez pour lui. Je me porte fort bien ; je suis ravie de n’avoir point vendangé ; je ferai les autres remèdes ; et quand cette pauvre petite femme sera mieux, j’irai encore me reposer quelques jours à Livry. Brancas est arrivé cette nuit à pied, à cheval, en charrette ; il est pâmé au pied du lit de cette pauvre malade : nulle amitié ne paraît devant la sienne. Celle que j’ai pour vous ne me paraît pas petite.

J’ai trouvé à Paris une affaire répandue partout, qui vous paraîtra fort ridicule : bien des gens vous l’apprendront ; mais il me semble que vous voyez plus clair dans mes lettres. Il y avait à la cour une manière d’agent du roi de Pologne[2] qui marchandait toutes les plus belles terres pour son maître. Enfin, il s’était arrêté à celle de Rieux en Bretagne, dont il avait signé le contrat à cinq cent mille livres. Cet agent a demandé qu’on fit de cette terre un duché, le nom en blanc. Il y a fait mettre les plus beaux droits, mâles et femelles, et tout ce qu’il vous plaira. Le roi, et tout le monde, croyait que c’était ou pour M. d’Arquien, ou pour le marquis de Béthune[3]. Cet agent a donné au roi une lettre du roi de Polo

  1. Du départ de madame de Villars, ambassadrice en Savoie.
  2. Jean Sobieski.
  3. François Gaston, dont la femme (Marie-Louise de la Grange d’Arquien) était sœur de la reine de Pologne.