Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/382

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gne, qui lui nomme, devinez qui ? Brisacier, fils du maître des comptes ; il s’élevait par un train excessif et des dépenses ridicules : on croyait simplement qu’il fût fou, cela n’est pas bien rare. Il s’est trouvé que le roi de Pologne, par je ne sais quelle intrigue, assure que Brisacier est originaire de Pologne, en sorte que voilà son nom allongé d’un Ski, et lui Polonais. Le roi de Pologne ajoute que Brisacier est son parent, et qu’étant autrefois en France, il avait voulu épouser sa sœur. Il a envoyé une clef d’or à sa mère, comme dame d’honneur de la reine. La médisance, pour se divertir, disait que le roi de Pologne, pour se divertir aussi, avait eu quelques légères dispositions à ne pas haïr la mère, et que ce petit garçon était son fils ; mais cela n’est point ; la chimère est toute fondée sur sa bonne maison de Pologne. Cependant le petit agent a divulgué cette affaire, la croyant faite ; et dès que le roi a su le vrai de l’aventure, il a traité cet agent de fou et d’insolent, et l’a chassé de Paris, disant que, sans la considération du roi de Pologne, il l’aurait fait mettre en prison. Sa Majesté a écrit au roi de Pologne, et s’est plainte fraternellement de la profanation qu’il a voulu faire de la principale dignité du royaume ; mais le roi regarde toute la protection que le roi de Pologne a accordée à un si mince sujet comme une surprise qu’on lui a faite, et révoque même en doute le pouvoir de son agent. Il laisse à la plume de M. de Pomponne toute la liberté de s’étendre sur un si beau sujet. On dit que ce petit agent s’est évadé : ainsi cette affaire va dormir jusqu’au retour du courrier.


178. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, mercredi 7 octobre 1676

Je vous écris un peu à F avance, comme on dit en Provence, pour vous dire que je revins ici dimanche, afin d’achever le beau temps et de me reposer. Je m’y trouve très-bien, et j’y fais une vie solitaire qui ne me déplaît pas, quand c’est pour peu de temps. Je vais aussi faire quelques petits remèdes à mes mains, purement pour l’amour de vous, car je n’ai pas beaucoup de foi ; et c’est toujours dans cette vue de vous plaire que je me conserve, étant très-persuadée que l’heure de ma mort ne peut ni avancer ni reculer ; mais je suis les conduites ordinaires de la bonne petite prudence humaine, croyant même que c’est par elle qu’on arrive aux ordres de la Providence. Ainsi, ma filie^ je ne négligerai rien, puis-