Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/404

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me point encore accoutumer à cette jolie abbaye, de l’admirer totr jours comme si je ne l’avais jamais vue, et de trouver que vous m’êtes bien obligée de la quitter pour aller à Vichy. Ce sont de ces obligations que je reproche au bon abbé, quand j’ai écrit deux ou trois lettres en Bretagne pour mes affaires : sur le même ton, vous êtes bien ingrate de dire que vous voyez toujours cette écritoire en l’air, et que j’écris trop. Vous ne me parlez point de votre santé, c’est pourtant un petit article que je ne trouve pas à négliger : tant que vous serez maigre, vous ne serez point guérie ; et soit par le sang échauffé et subtilisé, soit par la poitrine, vous devez toujours craindre le dessèchement. Je souhaite donc qu’on ait un peu de peine à vous lacer, pourvu que la crainte d’engraisser ne vous jette pas dans la pénitence, comme l’année dernière ; car il faut songer à tout : mais cette crainte ne peut pas entrer deux fois dans une tête raisonnable.

Au reste, vous avez des lunettes meilleures que celles de l’abbé ; vous voyez assurément tout le manège que je fais quand j’attends vos lettres ; je tourne autour du petit pont : je sors de l’Humeur de ma fille, et je regarde par V Humeur de ma mère[1] si la Beauce[2] ne revient point ; et puis je remonte, et reviens mettre mon nez au bout de l’allée qui donne sur le petit pont ; et, à force de faire ce chemin, je vois venir cette chère lettre ; je la reçois, et la lis avec tous les sentiments que vous devinez ; car vous avez des lunettes pour tout. J’attends ce soir la seconde, et j’y ferai réponse demain. Le bon abbé est étonné que les voyages d’Aix et de Marseille, et le payement des gardes, vous aient jetés dans une si excessive dépense. Vous disiez, il y a quinze jours, que vous étiez bien : c’est que vous aviez compté sans votre hôte, qui fait toujours ses parties bien hautes, sans qu’on en puisse rien rabattre. Vous dites que votre château est une grande ressource, j’en suis d’accord ; mais j’aimerais mieux y demeurer par choix, que d’y être forcée par la nécessité. Vous savez ce que dit l’abbé d’Effiat[3] ; il a épousé sa maîtresse ; il aimait Véret quand il n’était pas obligé d’y demeurer ; il ne peut plus y durer, parce qu’il n’ose en sortir. Enfin, ma fille, je vous conseille de suivre toutes vos bonnes résolutions de règle et

  1. Noms de deux allées du parc de l’abbaye de Livry.
  2. Laquais de madame de Sévigné.
  3. Abbé de Saint-Sernin de Toulouse et de Trois-Fontaines. Il était exilé dans sa maison de Véret.