Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/405

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l’économie : cela ne rajuste pas une maison, mais cela rend la vie moins sèche et moins ennuyeuse.

Mercredi matin.

Je reçois votre lettre du 28 juillet : il me semble que vous étiez gaie, votre gaieté marque de la santé ; voilà, ma très-chère, comme je tire ma conséquence. Vous me priez d’aller à Grignan, vous me parlez de vos melons, de vos figues, de vos muscats ; ah ! j’en mangerais bien : mais Dieu ne veut pas que je fasse cette année un si agréable voyage ; vous ne ferez pas non plus celui de Vichy. Vous dites, ma chère enfant, que votre amitié n’est pas trop visible en certains endroits ; la mienne ne l’est pas trop aussi : il faut nous faire crédit l’une à l’autre : je vois fort bien la vôtre, et j’en suis contente ; soyez de même pour moi ; ce sont de ces choses que l’on croit parce qu’elles sont vraies, et de ces vérités qui s’établissent parce qu’elles sont des vérités.

J’avais ouï parler confusément de cette lettre de M. de Montausier ; je trouve, comme vous, son procédé digne de lui ; vous savez à quel point il me paraît orné de toutes sortes de vertus. On avait cherché, à le tromper, on avait corrompu son langage ; on s’est enfin redressé, et lui aussi ; il l’avoue : c’est une sincérité et une honnête de l’ancienne chevalerie. Voilà qui est donc fait, ma fille, vous êtes assurée d’avoir ces jeunes demoiselles[1]. Vous êtes une si grande quantité de bonnes têtes, qu’il ne faut pas douter que vous ne preniez le meilleur parti et le plus conforme à vos intérêts ; peut-être que les miens s’y rencontreront : j’en profiterai avec bien du plaisir.

Je sens la joie du bel abbé de se voir dans le château de ses pères, qui ne fait que devenir tous les jours plus beau et plus ajusté. M. de la Garde, dont je parle volontiers parce que je l’aime, est cause encore de ces copies[2], dont je suis vraiment au désespoir. Je vous assure que sans lui j’eusse continué ma brutalité ; j’avais résisté à la faveur, j’ai succombé à l’amitié : si je n’avais que vingt ans, je ne lui découvrirais pas ces faiblesses. Je me suis donc trouvée en presse, tout le monde criant contre moi. « Elle est folle, disait-on, elle est jalouse. M. de Saint-Géran n’aime-t-il point sa femme ? Il a permis qu’on prît des copies de son portrait. Hé bien ! on en

  1. Mesdemoiselles de Grignan étaient nièces de madame la duchesse de Montausier.
  2. Madame de Sévigné ne voulait pas laisser copier le portrait de sa fille ; mais elle n’avait pu refuser M. de la Garde.