Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/406

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« aura un original ; il ne me sera pas refusé. Cela est plaisant qu’elle croie qu’il n’y a qu’elle qui doive avoir le portrait de sa fille ! Je l’aurai plus beau que le sien. » Je ne me serais guère souciée de toute cette clameur, si M. de la Garde ne s’en était point mêlé :

mais voilà la première pinte ; il n’y a que celle-là de chère c’est

donc de l’aversion qu’on a pour les autres. Oh bien ! faites donc, que le diantre vous emporté ! le voilà, faites-en tout ce que vous voudrez. Vous ririez bien, si vous saviez tout le chagrin que cela me donne, et combien j’en ai sué. Vous qui n’aimez pas les portraits, j’ai compris que vous seriez la première à me ridiculiser. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que cet original ne me paraît plus entier ni précieux : cela me blesse le cœur : allons, allons, il faut être mortifiée sur toutes choses ; voilà qui est fait, n’en parlons plus : cet article est long et assez inutile, mais je n’en ai pas été la maîtresse, non plus que de mon pauvre portrait.


191. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 13 août 1677.

Je ne veux plus parler du chagrin que> vous m’avez donné, en me disant que vous ne me causiez que des inquiétudes et des douleurs par votre présence : voudrait-on être capable de ne les avoir pas, quand on aime aussi véritablement que je vous aime ? c’est une belle idée, et bien ressemblante aux sentiments que j’ai pour vous ! Je dirais beaucoup de choses sur ce sujet, que je coupe court par mille raisons ; mais pour y penser souvent, c’est de quoi je ne vous demanderai pas congé.

Mon fils partit hier ; il est fort loué de cette petite équipée ; tel l’en blâme, qui l’aurait accablé, s’il n’était point parti : c’est dans ces occasions que le monde est plaisant. Il est plus aisé de le justifier d’être allé à cette échauffourée, que d’être demeuré ici seul et tranquille : pour moi, j’ai fort approuvé son dessein, je l’avoue : vous voyez que je laisse assez bien partir mes enfants.

Il y a long temps que je suis de votre avis pour préférer les mauvaises compagnies aux bonnes : quelle tristesse de se séparer de ce qui est bon ! et quelle joie de voir partir une troupe de Provençaux tels que vous me les nommez ! Ne vous souvient-il point de la couvée de Fouesnel, et comme nous tirions agréablement le jour et le moment de leur bienheureuse sortie ? Nous nous mettions à cou-