Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/415

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l’hôtel de Carnavalet[1]. C’est une affaire admirable, nous y tiendrons tous, et nous aurons le bel air ; comme on ne peut pas tout avoir, il faut se passer des parquets et des petites cheminées à la mode ; mais nous aurons une belle cour, un beau jardin, un beau quartier, et de bonnes petites filles bleues qui sont fort commodes, et nous serons ensemble, et vous m’aimez, ma chère enfant : je voudrais pouvoir retrancher, de ce trésor qui m’est si cher, toute l’inquiétude que vous avez pour ma santé. Demandez à tous ces hommes comme je suis belle ; il ne me fallait point de douches ; la nature parle, elle en voulait l’année passée, elle en avait besoin ; elle n’en voulait plus celle-ci, j’ai obéi à sa voix. Pour les eaux, ma chère enfant, si vous êtes cause de mon voyage, j’ai bien des remercîments à vous faire, puisque je m’en porte parfaitement bien. Vous me dites mille douceurs sur l’envie que vous avez de faire un voyage avec moi, et de causer, et de lire ; ah ! plût à Dieu que vous pussiez, par quelque hasard, me donner ces sortes de marques de votre amitié ! Il y a une personne qui me disait l’autre jour qu’avec toute la tendre amitié que vous avez pour moi, vous n’en faites point le profit que vous auriez pu en faire ; que vous ne connaissez pas ce que je vaux, même à votre égard. Mais c’est une folie que je vous dis là, et je ne voudrais être aimable que pour être autant dans votre goût que je suis dans votre cœur : c’est une belle chose que défaire cette sorte de séparation ; cependant elle ne serait peut-être pas impossible. Sérieusement, ma fille, pour finir cette causerie, je suis plus touchée de vos sentiments pour moi que de ceux de tout le reste du monde ; je suis assurée que vous le croyez.

J’ai envoyé chez Corbinelli ; il se porte bien, et Tiendra me voir demain. Pour le pauvre abbé Bayard, je ne m’en puis remettre ; j’en ai parlé tout le soir : je vous manderai comme en est madame de la Fayette ; elle est à Saint-Maur. Madame de Coulanges est à Livry ; j’y veux aller pendant qu’on fera notre remue-ménage. Madame de Guitant avait fait un fils, qui mourut le lendemain ; il fut question de lui en montrer un autre, et de lui faire croire qu’on l’envoyait à Époisses. Enfin c’est une étrange affaire ; son mari est venu pour voir comme on pourra lui faire avaler cette af

  1. Rue Culture Sainte-Catherine, à l’angle de la rue des Francs-Bourgeois, au Marais. Jean Goujon a sculpté les figures qui en décorent la façade.