Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/420

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rait bien gardé de le combattre. Cela ne vous paraît-il pas ressembler à l’homme qui se bat en duel à la comédie, et qui demande pardoii à tous les coups qu’il donne dans le corps de son ennemi ?

Les principaux officiers des deux partis prirent donc dans une conférence un air de paix, et convinrent de faire entrer du secours dans Mons. Mon fils était à cette entrevue romanesque. Le marquis de Grana demanda à M. de Luxembourg qui était un escadron qui avait soutenu, deux heures durant, le feu de neuf de ses canons, qui tiraient sans cesse pour se rendre maîtres de la batterie que mon fils soutenait. M. de Luxembourg lui dit que c’étaient les gendarmes-Dauphin, et que M. de Sévigné, qu’il lui montra là présent, était à leur tête. Vous comprenez tout ce qui lui fut dit d’agréable, et combien, en pareille rencontre, on se trouve payé de sa patience. Il est vrai qu’elle fut grande ; il eut quarante de ses gendarmes tués derrière lui. Je ne comprends pas comment on peut revenir de ces occasions si chaudes et si longues, où l’on n’a qu’une immutabilité qui nous fait voir la mort mille fois plus horrible que quand on est dans l’action, et qu’on s’occupe à battre et à se défendre.

Voilà l’aventure de mon pauvre fils ; et c’est ainsi que l’on en usa le propre jour que la paix commença. C’est comme cela qu’on pourrait dire de lui plus justement qu’on ne disait de Dangeau : Si la paix dure dix ans, il sera maréchal de France.


200. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

À Paris, ce 12 octobre 1678.

J’ai reçu deux de vos lettres, mon cousin. Dans l’une vous me contez votre vie, et de quelle manière vous vous divertissez. Je trouve que vous avez une très-bonne compagnie, et que vous faites un très-bon usage de tout ce qui peut contribuer à vous faire une société agréable ; et si nous étions dans un règne moins juste que celui-ci, on pourrait bien vous changer un exil que vous rendez trop agréable, comme on fit à un Romain. On apprit qu’il passait la plus douce vie du monde dans une île où il était exilé ; on le rappela à Rome, et on le condamna à y vivre avec sa femme. Je suis charmée que vous me promettiez de m’ aimer, ma nièce de Coligny et vous. Je suis ravie de vous plaire, et d’être estimée de vous deux. Nous nous mîmes l’autre jour à parler d’elle, ma fille, M. de Corbiuelli et moi ; en vérité, elle fut célébrée dignement ; et l’un des plus beaux endroits que nous trouvassions en elle fut la tendresse