Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et rattachement qu’elle a pour vous, et le plaisir quelle prend à adoucir votre exil ; cela vient d’un fonds héroïque. Mademoiselle de Scudéri dit que la vraie mesure du mérite se doit prendre sur l’étendue de la capacité qu’on a d’aimer. Jugez par là du prix de votre fille*. Il faut louer aussi ceux qui sont dignes d’être aimés. Ceci vous regarde, mon cousin.

Au reste, je vous réponds de votre incorruptibilité tant que vous serez ensemble.

L’armée de M. de Luxembourg n’e§ t point encore séparée ; les goujats parlent même du siège de Trêves ou de Juliers. Je serai au désespoir, s’il faut que je reprenne encore les pensées delà guerre. Je voudrais fort que mon fils et mon bien ne fussent plus exposés à leurs glorieuses souffrances. Il est triste de s’avancer dans le pays de la misère ; c’est ce qui est indubitable dans votre métier : vous sauriez bien m’en dire des nouvelles.

Vous savez, je crois, que madame de Meckelbourg, s’en allant en Allemagne, a passé par l’armée de son frère[1]. Elle y a été trois jours comme Armide, au milieu de tous ces honneurs militaires qui ne se rendent pas à petit bruit. Je ne puis comprendre comment elle put songer à moi en cet état. Elle fit plus, elle m’écrivit une lettre fort honnête qui me surprit extrêmement ; car je n’ai aucun commerce avec elle. Elle pourrait faire dix campagnes et dix voyages en Allemagne sans penser à moi, que je ne serais pas en droit de m’en plaindre. Je lui mandai que j’avais bien lu des princesses dans les armées, se faisant adorer et admirer de tous les princes, qui étaient autant d’amants : mais que je n’en avais jamais vu une qui, dans ce triomphe, s’avisât d’écrire à une ancienne amie qui n’avait point la qualité de confidente de la princesse.

M. de Brandebourg et les Danois ont si bien chassé les Suédois de l’Allemagne, que cet électeur n’a plus rien à faire qu’à venir joindre nos ennemis. On craint que cela ne retarde la paix des Allemands.

La cour est à Saint-Cloud ; le roi veut aller à Versailles : mais il semble que Dieu ne le veuille pas, par l’impossibilité de faire que les bâtiments puissent le recevoir, et par la mortalité prodigieuse des ouvriers, dont on emporte toutes les nuits, comme de l’Hôtel- Dieu, des chariots pleins de morts : on cache cette

  1. Le maréchal de Luxembourg.