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210. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 20 octobre 167D.

Quoi ! vous pensez m’écrire de grandes lettres, sans me dire un mot de votre santé ! je pense, ma chère enfant, que vous vous moquez de moi ; pour vous punir, je vous avertis que j’ai fait de ce silence tout le pis que j’ai pu ; j’ai compris que vous aviez bien plus de mal aux jambes qu’à l’ordinaire, puisque vous ne m’en disiez rien, et qu’assurément si vous vous fussiez un peu mieux portée, vous eussiez été pressée de me le dire : voilà comme j’ai raisonné. Mon Dieu, que j’étais heureuse quand j’étais en repos sur votre santé ! et qu’avais-je à me plaindre auprès des craintes que j’ai présentement ? Ce n’est pas qu’à moi qui suis frappée des objets, et qui aime passionnément votre personne, la séparation ne soit un grand mal ; mais la circonstance de votre délicate santé est si sensible, qu’elle en efface l’autre. Mandez-moi désormais l'.état où vous êtes, mais avec sincérité. Je vous ai mandé tout ce que je savais pour vos jambes ; si vous ne les tenez chaudement, vous ne serez jamais soulagée : quand je pense à ces jambes nues deux ou trois heures le matin pendant que vous écrivez ; mon Dieu ! ma chère, que cela est mauvais ! Je verrai bien si vous avez soin de moi. Je me purgerai lundi pour l’amour de vous ; il est vrai que le mois passé je ne pris qu’une pilule ; j’admire que vous l’ayez sentie ; je vous avertis que je n’ai aucun besoin de me purger ; c’est à cause de cette eau, et pour vous ôter de peine. Je hais bien toutes ces fièvres qui sont autour de vous.

Le chevalier vous mande toutes les nouvelles ; il en sait plus que moi, quoiqu’il soit un peu incommodé de son bras, et par consé^ q tient assez souvent dans sa chambre. Je fus le voir hier, et le bel abbé ; il me faut toujours quelque Grignan ; sans cela il me semble que je suis perdue. Vous savez comme M. de la Salle a acheté la charge de ïilladet ; c’est bien cher de donner cinq cent mille francs pour être subalterne de M. de Marsillac : j’aimerais mieux, ce me semble, les subalternes des charges de guerre. On parle fort du mariage de Bavière. Si l’on faisait des chevaliers {de tordre), ce serait une belle affaire ; je vois bien des gens qui ne le croient pas. J’ai reçu une lettre de bien loin, que je vous garde ; elle est pleine de tout ce qu’il y a au monde de plus reconnaissant, et d’un tour admirable. Pour le pauvre Corbinelli, je ne sais point