Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/46

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connu, vous ne m’êtes pas inconnue ; et qu’il faut que j’aie eu plus d’une fois l’honneur de vous voir et de vous entendre, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément dont tout le monde est surpris. Mais je veux encore vous faire voir, Madame, que je ne connais pas moins les qualités solides qui sont en vous, que je fais les agréables dont on est touché. Votre âme est grande, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s’abaisser aux soins d’en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l’ambition, et vous ne l’êtes pas moins aux plaisirs : vous paraissez née pour eux, et il semble qu’ils soient faits pour vous ; votre présence augmente les divertissements, et les divertissements augmentent votre beauté, lorsqu’ils vous environnent. Enfin la joie est l’étal véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu’à qui que ce soit. Vous êtes naturellement tendre et passionnée ; mais, à la honte de notre sexe, cette tendresse vous a été inutile, et vous l’avez renfermée dans le vôtre, en la donnant à madame de la Fayette. Ah ! Madame, s’il y avait quelqu’un au monde d’assez heureux pour que vous ne l’eussiez pas trouvé indigne du trésor dont elle jouit, et qu’il n’eût pas tout mis en usage pour le posséder, il mériterait de souffrir seul toutes les disgrâces à quoi l’amour peut soumettre tous ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d’être le maître d’un cœur comme le vôtre, dont les sentiments fussent expliqués par cet esprit galant que les dieux vous ont donné ! Votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne peut se mériter ; jamais il n’y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne pas le montrer toujours tel qu’il est ; mais au contraire vous êtes si accoutumée à n’y rien sentir qui ne vous soit honorable, que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence vous obligerait de cacher. Vous êtes la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été ; et, par un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples compliments de bienséance paraissent en votre bouche des protestations d’amitié ; et tous les gens qui sortent d’auprès de vous s’en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu’ils puissent se dire à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l’une et de l’autre. Enfin, vous avez reçu des grâces du ciel qui n’ont jamais été données qu’à vous ; et le monde vous est obligé de lui être venue montrer mille agréables qualités qui jusqu’ici lui avaient été inconnues. Je ne veux point m’embarquera vous les dé-