Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/470

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larmes lui en vinrent encore aux yeux. Il y eut une scène bien vive entre lui et madame de la Fayette, le soir que ce pauvre homme était à l’agonie ; je n’ai jamais tant vu de larmes, ni jamais une douleur plus tendre et plus vraie : il était impossible de n’être pas comme eux ; ils disaient des choses à fendre le cœur ; je n’oublierai jamais cette soirée. Hélas ! ma chère enfant, il n’y a que vous qui ne me parliez point encore de cette perte, ah ! c’est où l’on connaît encore mieux l’horrible éloignement : vous m’envoyez des billets et des compliments pour lui ; vous n’avez pas envie que je les porte sitôt. M. de Marsillac aura les lettres de M. de Grignan avec le temps ; il n’y eut jamais une affliction plus vive que la sienne : madame de la Fayette ne l’a point encore vu : quand les autres de la famille sont venus la voir, c’a été un renouvellement étrange. M. le Duc me parlait donc tristement là-dessus. Nous entendîmes, après dîner, le sermon du Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant à tort et à travers contre l’adultère : sauve qui peut ! il va toujours son chemin. Nous revînmes avec beaucoup de plaisir. Mesdames de Guénégaud et de Kerman étaient des nôtres : je les assurai fort qu’à moins d’une Dauphine, j’étais servante, à mon âge et sans affaires, de ce bon pays-là.

Madame de Vins, qui voulait savoir des nouvelles de mon voyage, vint hier dîner joliment avec moi ; elle causa longtemps avec Corbinelli et la Mousse ; la conversation était sublime et divertissante ; Bussy n’y gâta rien. Nous allâmes faire quelques visites, et puis je la ramenai. Je vis mademoiselle de Méri, qui ne veut plus du tout de son bail ; elle s’en prend à l’abbé, qui croyait que madame de Lassai était demeurée d’accord de tout : il se défend fort bien, et maintient que ce logement est fort joli : c’est une nouvelle tribulation. Vous n’êtes pas en état d’envisager votre retour, vous êtes encore trop battus de l’oiseau, comme disait l’abbé au reversis : j’espère qu’après quelques mois de repos à Grignan vous changerez d’avis, et que vous ne trouverez pas qu’un hiver à Grignan soit une bonne chose à imaginer.

Pour mon fils, il est vrai que je trouve du courage ; je lui dis et redis toutes mes pensées ; je lui écris des lettres que je crois qui sont admirables ; mais plus je donne de force à mes raisons, plus il pousse les siennes : et sa volonté paraît si déterminée, que je comprends que c’est là ce qui s’appelle vouloir efficacement. Il y a un degré de chaleur dans le désir qui l’anime, à quoi nulle pru-