Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/471

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dence ne peut résister : je n’ai pas sur mon cœur d’avoir préféré mes intérêts à sa fortune ; je les trouverais tout entiers à le voir marcher avec plaisir dans un chemin où je le conduis depuis si longtemps. Il se trompe dans tous ses raisonnements, il est tout de travers : j’ai tâché de le redresser avec des raisons toutes droites et toutes vraies, appuyées du sentiment de tous nos amis ; et je lui dis enfin : Mais ne vous défiez- vous de rien, quand vous voyez que vous seul pensez une chose que tout le monde désapprouve ? Il met l’opiniâtreté à la place d’une réponse, et nous revenons toujours à ménager qu’au moins il ne fasse pas un marché extravagant. Adieu, ma très-chère : j’ignore comment vous vous portez, je crains votre voyage, je crains Salon, je crains Grignan ; je crains, en un mot, tout ce qui peut nuire à votre santé ; par cette raison, je vous conjure de m’écrire bien moins qu’à l’ordinaire.


223. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 8 avril 1680.

Ma chère enfant, le pauvre M. Fouquet est mort, j’en suis touchée[1] : je n’ai jamais vu perdre tant d’amis ; cela donne de la tristesse, de voir tant de morts autour de soi : mais ce qui n’est pas autour de moi, et ce qui me perce le cœur, c’est la crainte que me donne le retour de toutes vos incommodités ; car quoique vous vouliez me le cacher, je sens vos brasiers, votre pesanteur, votre point. Enfin, cet intervalle si doux est passé, et ce n’était pas une guérison. Vous dites vous-même qu’une flamme mal éteinte est facile à rallumer. Ces remèdes que vous mettez dans votre cassette, comme très-sûrs dans le besoin, devraient bien être employés présentement. M. de Grignan n’aura-t-il point de pouvoir dans cette occasion ? et n’est-il point en peine de l’état où vous êtes ? J’ai vu le petit Beaumont ; vous pouvez penser si je l’ai questionné ! Quand je songeais qu’il n’y avait que huit jours qu’il vous avait vue, il me paraissait un homme tout autrement estimable que les autres : il dit que vous n’étiez pas si bien, quand il est parti, que vous étiez cet hiver. Il m’a parlé de vos soupers, qu’il trouvait

  1. Gourville assure dans ses Mémoires qu’il sortit de prison ayant sa mort, et Voltaire le tenait de sa belle-fille, madame de Vaux. Mais madame de Sévigné le croyait mort à Pignerol, ainsi que tout le public. Ce qu’en dit mademoiselle de Montpensier confirme l’opinion générale.