Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/504

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que j’ai de ne guère voir de votre écriture est une marque d’amitié ou d indifférence. Je recommande cette cause à Montgobert ; c’est que je suis toujours charmée de la confiance, et c’en est une que de croire fermement que j’aime mieux votre repos que inon plaisir, qui devient une peine dès que je me représente l’état où vous met cette écritoire.

Je fais ici des promenades qui me font sentir l’amertume de votre absence, plus tristement encore que vous ne pouvez sentir la mienne au milieu de votre république ; car assurément la compagnie de Grignan est si bonne et si grande, qu’elle doit vous donner plus de dissipation que le milieu de Paris. Votre petit bâtiment est achevé ; on vous en mandera des nouvelles. En voulez-vous savoir de madame de la Hamelinière[1] ? Elle a été ici sept jours entiers, elle ne partit qu’hier, après que j’eus pris ma médecine. J’envie bien les chevaux gris qu’elle lit paraître dans ma cour : la familiarité de cette femme est sans exemple ; elle s’en retourne chez M. le marquis de la Roche-Giffard, d’où elle venait ; elle a son équipage ; elle ne parle que de lui. La scène est à vingt lieues d’ici, mais cela ne l’embarrasse pas. Votre bon cousin ne laisse pas de l’adorer, et d’adorer aussi M. le marquis. On parlerait longtemps là-dessus ; les choses singulières me réjouissent toujours. Je vous assure que je fus fort touchée du plaisir de voir partir ce train ; j’étais dans mon lit, mais je fus très-bien instruite du bruit du départ ; je ne souhaite point qu’il me vienne d’autres visites : j’ai mille petites choses à faire, et j’ai à lire, car il ne faut point parler de lire avec cette compagnie-là. Je m’en vais reprendre mes conversations toutes pleines de votre père (Descartes). Mais une bonne fois, ma très-chère, mettez un peu votre nez dans le livre de la Prédestination des Saints, de saint Augustin, et du son de la persévérance : c’est un fort petit livre, il finit tout. Vous y verrez d’abord comme les papes et les conciles. renvoient à ce Père, qu’ils appellent le docteur de la grâce ; ensuite les lettres des saint Prosper et Hilaire, où il est fait mention des difficultés de certains prêtres de Marseille, qui disent tout comme vous ; ils sont nommés semipélagiens[2]. Voyez ce que saint Augustin répond à ces deux lettres, et ce qu’il répète cent fois. Le onzième

  1. Une parente ridicule qui était venue lui rendre visite.
  2. Ces hérétiques croyaient que l’homme pouvait, par ses propres forces, mériter la foi, et la première grâce nécessaire pour le salut.