Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/522

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une agitation, une occupation, c’est une nourriture ; sans cela on est en faiblesse, on n’est soutenue de rien, on ne peut souffrir les autres lettres ; enfin, on sent que c’est un besoin de recevoir cet entretien d’une personne si chère. Tout ce que vous me dites est si tendre et si touchant, que je serais aussi honteuse de lire vos lettres sans pleurer, que je le serai cet hiver de vivre sans vous. Parlons un peu de Versailles ; j’ai fort bonne opinion de ce silence ; je ne crois point qu’on veuille vous refuser une chose si juste[1], dans un temps de libéralités : vous voyez que tous vos amis vous ont conseillé de faire cette tentative ; quel plaisir n’auriez- vous pas si, par vos soins et vos sollicitations, vous obteniez cette petite grâce ! Elle ne pourrait venir plus à propos ; car je crois (et cette peine se joint souvent aux autres) que vous êtes dans de terribles dérangements. Pour moi, je suis convaincue que je ne serais jamais revenue de ceux où m’aurait jetée un retardement de six mois : quand on a poussé les choses à un certain point, on ne trouve plus que des abîmes ; et vous êtes entrée la première dans ces raisons ; elles font ma consolation, et je me les redis sans cesse.

Nous menons ici une vie assez triste ; je ne crois pas cependant que plus de bruit me fût agréable. Mon fils a été chagrin de ces espèces de clous ; ma belle-fille n’a que des moments de gaieté, car elle est tout accablée de vapeurs : elle change cent fois le jour de visage, sans en trouver un bon ; elle est d’une extrême délicatesse ; elle ne se promène quasi pas ; elle a toujours froid ; à neuf heures du soir elle est tout éteinte, les jours sont trop longs pour elle ; et le besoin qu’elle a d’être paresseuse fait qu’elle me laisse toute ma liberté, afin que je lui laisse la sienne : cela me fait un extrême plaisir. Il n’y a pas moyen de sentir qu’il y ait une autre maîtresse que moi dans cette maison ; quoique je ne m’inquiète de rien, je me vois servie par de petits ordres invisibles. Je me promène seule, mais je n’ose me livrer à l’entre-chien et loup, de peur d’éclater en cris et en pleurs ; l’obscurité me serait mauvaise dans l’état où je suis : si mon âme peut se fortifier, ce sera à la crainte de vous fâcher que je sacrifierai ce triste divertissement : présentement c’est à ma santé, et c’est encore vous qui me l’avez recommandée ; mais enfin c’est toujours vous. Il ne tient pas à moi qu’on ne sache l’amitié tendre et solide que vous avez pour moi, j’en suis convaincue, j’en

  1. Madame de Grignan sollicitait un dédommagement pour les dépenses extraordinaires que son mari avait été obligé de faire sur les côtes de Provence.