Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/603

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Il n’est pas aisé de comprendre que M. le chevalier, avde tant d’incommodités, puisse faire une campagne ; mais il me paraît qu’il a dessein au moins de faire voir qu’il le veut et qu’il le désire bien sincèrement : je crois que personne n’en doute. Il a une véritable envie d’aller aux eaux de Balaruc ; j’ai vu l’approbation naturelle que nos capucins donnèrent à ces eaux, et comme ils le confirmèrent dans l’estime qu’il en avait déjà ; il faut lui laisser placer ce voyage comme il l’entendra ; il a un bon esprit, et sait bien ce qu’il fait. Mais notre marquis, mon Dieu, quel homme ! nous croirez-vous une autre fois ? Quand vous vouliez tirer des conséquences de toutes ses frayeurs enfantines, nous vous disions que ce serait un foudre de guerre, et c’en est un, et c’est vous qui l’avez fait : en vérité, c’est un aimable enfant, et un mérite naissant qui prend le chemin d’aller bien loin : Dieu le conserve ! Je suis persuadée que vous ne doutez pas du ton.

Je ne pense pas que vous ayez le courage d’obéir à votre père Lanterne : voudriez-vous ne pas donner le plaisir à Pauline, qui a bien de l’esprit, d’enfaire quelque usage, en lisant les belles comédies de Corneille, et Pohjeucte, et Cinna, et les autres ? N’avoir de la dévotion que ce retranchement, sans y être portée par la grâce de Dieu, me paraît être bottée à cru : il n’y a point de liaison ni de conformité avec tout le reste. Je ne vois point que M. et madame de Pomponne en usent ainsi avec Félicité[1], à qui ils font apprendre l’italien et tout ce qui sert à former l’esprit : je suis assurée qu’elle étudiera et expliquera ces belles pièces dont je viens de vous parler. Ils ont élevé madame de Vins[2] de la même manière, et ne laisseront pas d’apprendre parfaitement bien à leur fille comme il faut être chrétienne, ce que c’est que d’être chrétienne, et toute la beauté et la solide sainteté de notre religion : voilà tout ce que je vous en dirai. Je crois que c’est votre exemple qui fait haïr les histoires à Pauline ; elles sont, ce me semble, fort amusantes : je me trouve fort bien de la vie du duc d’Épernon par un nommé Girard ; elle n’est pas nouvelle ; mais elle m’a été recommandée par mes amies et par Croisilles, qui l’ont lue avec plaisir.

Un mot de notre voyage, ma chère enfant. Nous sommes venues en trois jours de Rouen ici, sans aventures, avec un temps et un

  1. Catherine-Félicité Arnauld de Pomponne, qui fut mariée à Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, ministre d’État.
  2. Sœur de madame de Pomponne.