Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/647

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taisie, trouver un mauvais melon, nous serions obligés de le faire venir de Paris ; il ne s’en trouve point ici ; les figues blanches et sucrées, les muscats comme des grains d’ambre que l’on peut croquer, et qui vous feraient fort bien tourner la tête si vous en mangiez sans mesure, parce que c’est comme si l’on buvait à petits traits du plus exquis vin de Saint- Laurent : mon cher cousin, quelle vie ! vous la connaissez sous de moindres degrés de soleil ; elle ne fait point du tout souvenir de celle de la Trappe. Voyez dans quelle sorte de détail je me suis jetée, c’est le hasard qui conduit nos plumes ; je vous rends ceux que vous m’avez mandés, et que j’aime tant ; cette liberté est assez commode, on ne va pas chercher bien loin le sujet de ses lettres.

Je loue fort le courage de madame de Louvois d’avoir quitté Paris, contre l’avis de tous ceux qui lui voulaient faire peur du mauvais air : hé, où est-il ce mauvais air ? qui leur a dit qu’il n’est point à Paris ? Nous le trouvons quand il plaît à Dieu, et jamais plus tôt. Parlez-moi bien de vos grandeurs de Tonnerre et d’Ancile-Franc ; j’ai vu ce beau château, et une reine de Sicile sur une porte, dont M. de Noyon vient directement[1]. Je vous trouve trop heureux ; au sortir des dignités de M. le duc de Chaulnes, vous entrez dans l’abondance et les richesses de madame de Louvois ;. suivez cette étoile si bienfaisante, tant qu’elle vous conduira. Je le demandais l’autre jour à madame de Coulanges : elle m’a parlé de Girette ; ah ! quel fou !

Comment pourrons-nous passer de tout ceci, mon cher cousin, au maréchal d’Humières, le plus aimable, le plus aimé de tous les courtisans. Il a dit à M. le curé de Versailles : Monsieur, vous voyez, un homme qui s’en va mourir dans quatre heures, et qui n’a jamais pensé, ni à son salut, ni à ses affaires ; il disait bien vrai, et cette vérité est digne de beaucoup de réflexions : mais je quitte ce sérieux, pour vous demander, sur un autre ton sérieux, si je ne puis pas assurer ici madame de Louvois de mes très-humbles services ; elle est si honnête, qu’elle donne toujours envie de lui faire exercer cette qualité. Mandez-moi qui est de votre troupe, et me payez avec la monnaie dont vous vous servez présentement. Je suis aise que vous soyez plus près de nous, sans que cela me donne plus d’espérance ; mais c’est toujours quelque

  1. Trait dirigé contre la vanité de M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon.