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PORT-ROYAL.

Chose remarquable ! de tant d’hommes éminents qui l’entouraient et qui auraient pu se produire, ce semble, dans l’éloquence publique avec de plus grands avantages que lui, il est le seul qui ait pris position dans la chaire. Il est bien le prédicateur de Port-Royal. Ses qualités, plus essentielles que brillantes, y aidaient. Si goûtée qu’ait été à de certains moments sa prédication, c’était encore une prédication mortifiée : telle Port-Royal la voulait. On faisait donc taire M. Le Maître, on se pressait à la voix de M. Singlin. Toujours le même esprit, la même ordonnance chrétienne primitive : Dieu se plaît à renverser les jugements des hommes ; il laisse de côté les éloquents et délie la langue du bègue pour annoncer sa parole.

Et puis, il n’y eut qu’un moment où la parole publique fut possible à Port-Royal ; dans la suite on ne l’eût permise à aucun de ces hommes célèbres et le plus souvent cachés, dont la plume seule parlait du sein de l’ombre. M. Singlin lui-même, en ces années de vogue, ne fut pas sans toucher l’obstacle : un sermon qu’il prêcha le 28 août 1649, jour de la fête de saint Augustin, lui valut les dénonciations des ennemis de la Grâce. Le Père Des Mares était déjà interdit depuis un an, et ne devait recouvrer que vingt ans plus tard le trop court exercice de cette éloquence, toujours vive, que nous certifie Roileau. L’archevêque de Paris, M. de Gondi, qui était à Angers lors du sermon de la Saint-Augustin, se laissa surprendre en homme faible, et, malgré son indulgence habituelle, il interdit brusquement M. Singlin. On réclama ; cinq évêques, qui s’étaient trouvés des assistants ce jour-là, attestèrent n’avoir rien ouï de contentieux ; le duc de Liancourt, le Père de Gondi, de l’Oratoire, Retz son fils, alors coadjuteur, et qu’on rencontre de bonne heure favorable à Port-Royal, appuyèrent les instances respectueuses de