Aller au contenu

Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jour que nous étions par exception en petit comité à dîner, Deschartres, qui ne savait pas retenir sa langue, excita un peu le général Colbert. Alphonse Colbert, descendant du grand Colbert, était un homme d’environ quarante ans, un peu replet et sanguin. Il avait des manières excellentes, des talens agréables : il chantait des romances champêtres en s’accompagnant au piano : il était plein de petits soins pour ma grand’mère, qui le trouvait charmant, et ma mère disait tout bas que, pour un militaire, elle le trouvait trop à l’eau de rose.

Je ne saurais dire si ce jour-là même l’ordonnance de la dislocation de l’armée n’était pas arrivée de Bourges. Que ce fût cette cause ou les maladroites réflexions de Deschartres, le général s’anima. Ses yeux ronds et noirs commencèrent à lancer des flammes, ses joues se colorèrent, l’indignation et la douleur trop longtemps contenues s’épanchèrent, et il parla avec une véritable énergie : « Non ! nous n’avons pas été vaincus, s’écria-t-il, nous avons été trahis, et nous le sommes encore. Si nous ne l’étions pas, si nous pouvions compter sur tous nos officiers, je vous réponds que nos braves soldats feraient bien voir à messieurs les Prussiens et à messieurs les Cosaques que la France n’est pas une proie qu’ils puissent impunément dévorer. » Il parla avec feu de l’honneur français, de la honte de subir un roi imposé par l’étranger, et il peignit