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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/452

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selon les catholiques, on est libre de choisir entre le salut et la damnation, puisque la grâce n’est jamais en défaut, et que la moindre bonne volonté vous jette dans une voie où les anges mêmes daignent marcher devant vous, je me disais avec une confiance superbe que je ne courais aucun danger, que j’y penserais quand je voudrais, et je ne me pressais pas d’y penser. Je n’étais pas sensible aux considérations d’intérêt personnel. Elles n’ont jamais agi sur moi, même en matière de religion. Je voulais aimer Dieu pour la seule douceur de l’aimer, je ne voulais pas avoir peur de lui : voilà ce que je disais quand on s’efforçait de m’épouvanter.

Sans réflexion et sans souci de cette vie et de l’autre, je ne songeais qu’à m’amuser, ou, pour mieux dire, je ne songeais même pas à cela : je ne songeais à rien. J’ai passé les trois quarts de ma vie ainsi, et pour ainsi dire à l’état latent. Je crois bien que je mourrai sans avoir réellement songé à vivre, et pourtant j’aurai vécu à ma manière, car rêver et contempler est une action insensible qui remplit parfaitement les heures et occupe les forces intellectuelles sans les trop user.

Je vivais donc là sans savoir comment et toujours prête à m’amuser comme l’entendraient mes amies. Anna aimait à causer, je l’écoutais. Sophie était rêveuse et triste, je m’attachais à ses pas en silence, ne la troublant pas dans ses méditations,