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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/613

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qu’on s’en aperçoive ; cette succession lente ou rapide de paysages, tantôt mornes, tantôt délicieux ; cette absence de but, ce laisser passer du temps qui s’envole, ces rencontres pittoresques de troupeaux ou d’oiseaux voyageurs ; le doux bruit de l’eau qui clapote sous les pieds des chevaux ; tout ce qui est repos ou mouvement, spectacle des yeux ou sommeil de l’âme dans la promenade solitaire, s’emparait de moi et suspendait absolument le cours de mes réflexions et le souvenir de mes tristesses.

Je devins donc tout à fait poète, et poète exclusivement par les goûts et le caractère, sans m’en apercevoir et sans le savoir. Où je ne cherchais qu’un délassement tout physique, je trouvai une intarissable source de jouissances morales que j’aurais été bien embarrassée de définir, mais qui me ranimait et me renouvelait chaque jour davantage.

Si l’inquiétude ne m’eût ramenée auprès de ma pauvre malade, je me serais oubliée, je crois, des jours entiers dans ses courses ; mais comme je sortais de grand matin, presque toujours à la première aube, aussitôt que le soleil commençait à me frapper sur la tête, je reprenais au galop le chemin de la maison. Je m’apercevais souvent alors que le pauvre André était accablé de fatigue ; je m’en étonnais toujours, car je n’ai jamais vu la fin de mes forces à cheval, où je crois que les femmes, par leur posit