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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/777

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Je l’amenai, je ne sais comment, à m’ouvrir son cœur, et j’y lus tout le malheur de sa vie et de son organisation. Elle me raconta plus de choses que je n’en voulais savoir, mais je dois dire qu’elle le fit avec une simplicité et une sorte de grandeur singulières. Elle s’anima au souvenir de ses émotions, rit, pleura, accusa, raisonna même avec beaucoup d’esprit, de sensibilité et de force. Elle voulait m’initier au secret de toutes ses infortunes, et, comme emportée par une fatalité de la douleur, elle cherchait en moi l’excuse de ses souffrances et la réhabilitation de son âme.

Après tout, dit-elle en se résumant et en s’asseyant sur son lit, où elle était belle avec son madras rouge sur sa figure pâle qu’éclairaient de si grands yeux noirs, je ne me sens coupable de rien. Il ne me semble pas que j’aie jamais commis sciemment une mauvaise action ; j’ai été entraînée, poussée, souvent forcée de voir et d’agir. Tout mon crime, c’est d’avoir aimé. Ah ! si je n’avais pas aimé ton père, je serais riche, libre, insouciante et sans reproche, puisque avant ce jour-là je n’avais jamais réfléchi à quoi que ce soit. Est-ce qu’on m’avait enseigné à réfléchir, moi ? Je ne savais ni a ni b. Je n’étais pas plus fautive qu’une linotte. Je disais mes prières soir et matin comme on me les avait apprises ; et jamais Dieu ne m’avait fait sentir qu’elles ne fussent pas bien reçues.