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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/778

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« Mais à peine me fus-je attachée à ton père que le malheur et le tourment se mirent après moi. On me dit, on m’apprit que j’étais indigne d’aimer. Je n’en savais rien et je n’y croyais guère. Je sentais mon cœur plus aimant et mon amour plus vrai que ceux de ces grandes dames qui me méprisaient et à qui je le rendais bien. J’étais aimée. Ton père me disait « Moque-toi de tout cela comme je m’en moque. » J’étais heureuse et je le voyais heureux. Comment aurais-je pu me persuader que je le déshonorais ?

« Voilà pourtant ce qu’on m’a dit sur tous les tons quand il n’a plus été là pour me défendre. Il m’a fallu alors réfléchir, m’étonner, me questionner, arriver à me sentir humiliée et à me détester moi-même, ou bien à humilier les autres dans leur hypocrisie et à les détester de toutes mes forces.

« C’est alors que moi, si gaie, si insouciante, si sûre de moi, si franche, je me suis senti des ennemis. Je n’avais jamais haï : je me suis mise à haïr presque tout le monde. Je n’avais jamais pensé à ce que c’est que votre belle société avec sa morale, ses manières, ses prétentions. Ce que j’en avais vu m’avait toujours fait rire comme très drôle. J’ai vu que c’était méchant et faux. Ah ! je te déclare bien que si, depuis mon veuvage, j’ai vécu sagement, ce n’est pas pour faire plaisir à ces gens-là, qui exigent des autres ce