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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/779

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qu’ils ne font pas. C’est parce que je ne pouvais plus faire autrement. Je n’ai aimé qu’un homme dans ma vie, et après l’avoir perdu, je ne me souciais plus de rien, ni de personne. »

Elle pleura, au souvenir de mon père, des torrens de larmes, s’écriant : « Ah ! que je serais devenue bonne si nous avions pu vieillir ensemble ! Mais Dieu me l’a arraché tout au milieu de mon bonheur. Je ne maudis pas Dieu : il est le maître ; mais je déteste et maudis l’humanité !……. » — Et elle ajouta naïvement et comme lasse de cette effusion : « Quand j’y pense. Heureusement je n’y pense pas toujours. »

C’était la contre-partie de la confession de ma grand’mère que j’entendais et recevais. La mère et l’épouse se trouvaient là en complète opposition dans l’effet de leur douleur. L’une qui, ne sachant plus que faire de sa passion et ne pouvant la reporter sur personne, acceptait l’arrêt du ciel, mais sentait son énergie se convertir en haine contre le genre humain ; l’autre qui, ne sachant plus que faire de sa tendresse, avait accusé Dieu, mais avait reporté sur ses semblables des trésors de charité.

Je restais ensevelie dans les réflexions que soulevait en moi ce double problème. Ma mère me dit brusquement : « Eh bien ! je t’en ai trop dit, je le vois, et à présent tu me condamnes et me méprises en connaissance de cause ! J’aime mieux ça. J’aime mieux t’arracher de mon cœur