Page:Sand - Journal intime.pdf/19

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le malheureux George, et il m’aimerait ne fût-ce qu’une heure !

Je ne guéris pourtant pas ! Eh bien, eh bien, comme vous voudrez, mon Dieu ! Faites de moi ce qui vous plaira. Je racontais mon chagrin à Delacroix ce matin, car de quoi puis-je parler, sinon de cela ? Et il me donnait un bon conseil : c’est de n’avoir plus de courage. « Laissez-vous aller, disait-il. Quand je suis ainsi je ne fais pas le fier ; je ne suis pas né Romain. Je m’abandonne à mon désespoir. Il me ronge, il m’abat, il me tue. Quand il en a assez, il se lasse à son tour, et il me quitte. »

Le mien me quittera-t-il ? Hélas ! il augmente tous les jours comme cette horreur de l’isolement, ces élans de mon cœur pour aller rejoindre ce cœur qui m’était ouvert ! Et si je courais, quand l’amour me prend trop fort ? Si j’allais casser le cordon de sa sonnette jusqu’à ce qu’il m’ouvrit la porte ? Si je m’y couchais en travers jusqu’à ce qu’il passe ? Si je me jetais — non pas à ses pieds, c’est fou, après tout, car c’est l’implorer, et, certes, il fait pour moi ce qu’il peut ; il est cruel de l’obséder et de lui demander l’impossible ; — mais, si je me jetais à son cou, dans ses bras, si je lui disais : « Tu m’aimes encore, tu en souffres, tu en rougis, mais tu me plains trop pour ne pas m’aimer. Tu vois bien que je l’aime, que je ne peux aimer que toi. Embrasse-moi, ne me dis rien, ne dis-