Page:Sand - Lettres a Alfred de Musset et a Sainte-Beuve.djvu/34

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puisque tu me trouves encore jolie malgré mes cheveux coupés[1], malgré les deux grandes rides qui se sont formées l’autre jour sur mes joues. Eh bien, quand tu sentiras ta sensibilité se lasser, et ton irritation revenir, renvoie‑moi, maltraite-moi, mais que ce ne soit jamais avec cet affreux mot : dernière fois ! Je souffrirai tant que tu voudras, mais laisse-moi quelquefois, ne fût-ce qu’une fois par semaine, venir chercher une larme, un baiser, qui me fasse vivre et me donne du courage. Mais tu ne peux pas. Ah ! que tu es las de moi, et que tu t’es vite guéri aussi, toi ! Hélas ! mon Dieu, j’ai de plus grands torts certainement que tu n’en as eu à Venise, quand je me consolai. Mais tu ne m’aimais pas, et la raison, égoïste et méchante, me disait : « Tu fais bien ! » À présent, je suis bien coupable à tes yeux ; mais je le suis dans le passé ; le présent est beau et bon encore. Je t’aime, je me soumettrais à tous les supplices pour être aimée de toi, et tu me quittes ! Ah ! pauvre homme, vous êtes fou ! C’est votre orgueil qui vous conseille ; vous devez en avoir. Le vôtre est beau parce que votre âme est belle. Mais votre raison

  1. Elle avait coupé sa magnifique chevelure crespelée, pour la lui envoyer.