Page:Sand - Malgretout.djvu/54

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arrête au passage les musiciens ambulants et qui les installe chez toi, au risque d’y introduire quelque misérable de la pire espèce.

— Ma chère, lui répondis-je, prends garde à ce que tu dis. Croire qu’un esprit sublime peut s’allier à un caractère vil est un des cruels paradoxes…

— De mon mari, n’est-ce pas ? reprit-elle. Laissons mon mari tranquille. Il est l’ultra de la clairvoyance comme mon père est celui de l’aveuglement.

Nous n’en pûmes dire davantage ; mon père ouvrit la porte en riant et en disant :

— Mes chères filles, je vous présente M. Abel, rien que ça !

— Qui ? s’écria Adda en se levant, le véritable Abel ?

— Oui, dit le jeune homme en riant comme mon père, le seul autorisé par le gouvernement…

— Le célèbre Abel, le violoniste incomparable, si recherché, si riche,… et c’est à lui que ma sœur a donné cent sous ? Allons, c’est révoltant, mais c’est à mourir de rire…

Seule, je ne riais pas. J’étais confuse ; je ne savais comment effacer l’affront que j’avais fait à un homme comblé des présents de tous les souverains de l’Europe, et dont on disait que son archet lui rapportait cent mille francs par an.

Le jeune maestro vit mon embarras, et, s’approchant de la lumière, il me montra ma petite pièce percée au poinçon et passée comme une relique à sa chaîne de montre.