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essai sur le libre arbitre

tel, parce qu’il a tel caractère et non tel autre, une action différente n’était à la vérité pas possible ; mais en elle-même et par suite objectivement, elle était réalisable. Sa responsabilité, que la conscience lui atteste, ne se rapporte donc à l'acte même que médiatement et en apparence : au fond, c’est sur son caractère qu’elle retombe ; c’est de son caractère qu’il se sent responsable. Et c’est aussi de celui-là seul que les autres hommes le rendent responsable, car les jugements qu’ils portent sur sa conduite rejaillissent aussitôt des actes sur la nature morale de leur auteur. Ne dit-on pas, en présence d’une action blâmable : « Voilà un méchant homme, un scélérat, » ou bien : « C’est un coquin ! » — ou bien : « Quelle âme mesquine, hypocrite, et vile ! » — C’est sous cette forme que s’énoncent nos appréciations, et c’est sur le caractère même que portent tous nos reproches. L’action, avec le motif qui l’a provoquée, n’est considérée que comme un témoignage du caractère de son auteur ; elle est d’ailleurs le symptôme le plus sûr de sa moralité, et montre pour toujours et d’une façon incontestable quelle est la nature de son caractère. C’est donc avec une grande pénétration qu’Aristote a dit : « Nous louons ceux qui ont déjà fait leurs preuves. Les actes, en effet, sont le signe de la disposition intérieure, à tel point que nous louerions même celui qui n’a pas encore agi