Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/117

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choisir les premières et non les secondes, et ainsi la morale est rétablie.

Déjà, les successeurs immédiats de Zénon trouvèrent le principe de sa morale (vivre d’accord avec soi-même) trop formel et trop vide. Ils lui donnèrent alors un contenu, en ajoutant « conformément à la nature » (ομολογουμενως τη φυσει ζην) ; cette nouvelle précision, suivant le témoignage de Stobée, est due à Cléanthe ; elle devait le conduire très loin, vu la grande étendue du concept, et l’indétermination de la formule. Cléanthe en effet désignait par là toute la nature en général ; Chrysippe, la nature humaine en particulier. Tout ce qui convenait à celle-ci devait seul être considéré comme vertueux, de même que tout ce qui convient à la nature animale peut seul être considéré comme la satisfaction de ses instincts ; c’était un retour énergique à la doctrine de la vertu, et, coûte que coûte, on fonda l’éthique sur la physique. Les stoïciens cherchaient avant tout l’unité de principe ; Dieu et le monde ne pouvaient être séparés dans leur système.

L’éthique stoïcienne, prise dans son ensemble, est en réalité une tentative précieuse et méritoire, pour employer la raison à une œuvre importante et salutaire, l’asservissement de la douleur et de la souffrance, de tous les maux, en un mot, qui accablent la vie.

Qua ratione queas traducere leniter ævum :
Ne te semper inops agitet vexetque cupido,
Ne pavor et rerum mediocriter utilium spes.

De la sorte, l’homme aurait participé au plus haut degré à cette dignité, qui lui appartient comme être raisonnable, et qui ne saurait se rencontrer chez les animaux ; c’est même à cette condition seule que le mot de dignité a un sens pour lui. — Ainsi présentée, l’éthique stoïcienne pourrait donc figurer ici comme un exemple de ce qu’est la raison et des services qu’elle peut rendre. Le but poursuivi par les doctrines stoïciennes au moyen de la raison et d’une morale fondée uniquement sur elle, peut être atteint dans une certaine mesure, car l’expérience nous apprend que ces caractères raisonnables appelés vulgairement les philosophes pratiques sont les plus heureux ; — je dois ajouter que c’est avec raison qu’on les nomme pratiques, puisque, à l’inverse du philosophe proprement dit, qui transporte la vie dans le concept, ils transportent le concept dans la vie ; — mais il s’en faut encore de beaucoup que nous arrivions par cette méthode à un résultat parfait, et que l’application de la droite raison nous décharge de tous les fardeaux et de toutes les souffrances de la vie, et nous conduise à la félicité. Il y a une contradiction frappante à vouloir vivre sans souffrir, contradiction qui est enveloppée tout entière dans le mot de « vie heureuse ». On