Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/158

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et bien plus constantes dans chaque individu que chez l’homme[1]. Mais il y a un autre phénomène qui montre mieux cette individualité de caractère, qui marque une différence si profonde entre l’homme et les animaux : c’est que, chez ceux-ci, l’instinct sexuel se satisfait sans aucun choix préalable, tandis que ce choix chez l’homme, — quoique indépendant de la réflexion et tout instinctif, — est poussé si loin qu’il dégénère en une passion violente.

Ainsi donc, l’homme nous apparaît comme une manifestation particulière et caractérisée de la volonté, dans une certaine mesure, comme une idée particulière ; les animaux, au contraire, manquent de ce caractère individuel, attendu que l’espèce seule a une signification particulière et que les traces de caractère disparaissent à mesure qu’on s’éloigne de l’homme ; les plantes n’ont d’autres particularités individuelles que celles qui résultent de l’influence favorable ou défavorable du climat, ou de toute autre circonstance. Toute individualité disparaît enfin dans le règne inorganique de la nature. Le cristal seul, dans une certaine mesure, peut être encore considéré comme un individu : c’est une unité d’effort dans des directions déterminées, effort arrêté brusquement par la solidification, qui en conserve la trace. C’est un agrégat formé autour d’un noyau élémentaire, et maintenu par une idée d’unité, absolument comme l’arbre est un agrégat formé par une fibre unique qui apparaît et se répète dans chaque nervure de la feuille, dans chaque rameau, ce qui fait qu’on peut considérer chacune de ces parties comme une plante séparée vivant en parasite sur la grande ; de cette façon, l’arbre, semblable en cela au cristal, est une agrégation systématique de petites plantes, mais c’est l’ensemble seulement qui est la représentation parfaite d’une idée indivisible, c’est-à-dire de ce degré déterminé d’objectivation de la volonté. Les individus de la même famille de cristaux ne peuvent avoir d’autres différences que celles amenées par les circonstances extérieures ; on peut même, à volonté, faire cristalliser chaque espèce en gros ou en petits cristaux. L’individu, comme tel, c’est-à-dire portant quelque trace de caractère individuel, ne se rencontre plus dans la nature inorganique. Tous les phénomènes ne sont que des manifestations de forces naturelles générales, c’est-à-dire de degrés de l’objectivation de la volonté, qui ne se manifestent pas (comme dans la nature organique) par la différence des individualités, qui expriment partiellement le contenu total de l’idée, mais qui se manifestent seulement dans l’espèce, qu’elles représentent entièrement et sans déviation, dans chaque phénomène

  1. Wenzel, De structura cerebri hominis et brutorum, 1812, cap. III. — Cuvier, Leçons d’anat. comp., leçon 9, art. 4-5. — Vicq-d’Azir, Hist. de l’Acad. des sc. de Paris, 1783. p. 470-483.