Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/246

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de la pierre : aussitôt tout l’édifice perdra son charme ; ce sera comme un poème écrit dans une langue que nous ignorons. Tout cela nous montre que l’effet de l’architecture ne dépend point seulement de la mathématique, mais aussi de la dynamique ; ce qui nous parle par elle, ce n’est point une pure forme, une pure symétrie, ce sont les formes élémentaires de la nature, les Idées primitives, les degrés inférieurs de l’objectité de la volonté. — Tantôt la régularité d’une construction et de ses parties est causée par la coopération directe de chaque partie au maintien de l’ensemble, tantôt elle sert à faciliter la perception et l’intelligence de l’ensemble ; tantôt enfin les figures régulières contribuent à la beauté, en faisant voir la régularité de l’espace considéré comme espace. Mais tout ceci n’a qu’une valeur et qu’une nécessité secondaires ; ce n’est nullement le principal ; car la symétrie n’est pas à la rigueur une condition indispensable, attendu que les ruines elles-mêmes conservent de la beauté.

Signalons encore le rapport tout spécial que les œuvres d’architecture ont avec la lumière : elles deviennent doublement belles au plein soleil, lorsqu’elles se détachent sous l’azur du ciel ; au clair de lune elles produisent encore un tout autre effet. C’est aussi pour cette raison que, dans la construction d’une œuvre de belle architecture, l’on tient toujours un compte particulier des effets de lumière et de l’orientation. Tout cela tient sans doute en grande partie à ce qu’une lumière claire et pénétrante fait ressortir d’une manière parfaitement juste toutes les parties et leurs rapports ; mais je crois en outre que l’architecture, de même qu’elle est destinée à faire ressortir la pesanteur et la résistance, a en outre pour but de nous dévoiler l’essence de la lumière, essence complètement opposée à celle de la pesanteur et de la résistance. En effet, saisie, arrêtée, réfléchie par ces masses puissantes et opaques, aux arêtes vives et aux formes complexes, la lumière déploie de la façon la plus nette et la plus claire sa nature et ses propriétés : cette vue comble de joie l’observateur ; car la lumière est la plus délectable des choses, puisqu’elle est la condition, le corrélatif objectif de la connaissance intuitive la plus parfaite.

Ainsi les Idées dont l’architecture nous procure la claire intuition ne sont que les degrés inférieurs de l’objectité de la volonté ; par suite, la signification objective de ce que l’architecture nous révèle se trouve relativement faible ; il en résulte que, à la vue d’un bel édifice, habilement éclairé, la jouissance esthétique provient moins de la conception de l’Idée que de la conscience du corrélatif subjectif qu’entraîne en nous cette conception ; elle consiste surtout en ce fait que, à l’aspect de l’édifice, le spectateur s’affranchit de la connaissance individuelle, soumise à la volonté et au principe de