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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/332

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mément à mon vouloir. Je m’en aperçois, mon jugement s’étant rectifié : et voilà le regret. Il ne se prend pas seulement aux fautes qui viennent de l’inhabileté, du mauvais choix des moyens, de la disconvenance entre notre but et notre volonté véritable : il s’applique aussi à la valeur morale des actes. Il peut m’arriver, par exemple, d’avoir mis dans ma conduite plus d’égoïsme que n’en comporte mon caractère : je me serai trompé, en m’exagérant mes propres besoins, ou bien la ruse, la fausseté, la malice des autres ; ou encore, je me serai trop pressé d’agir, je n’aurai pas réfléchi, pressé par des motifs dont je ne me rendais pas compte in abstracto mais qui me frappaient d’abord : l’impression du moment et la passion qu’éveillait cette impression, passion assez forte pour m’enlever l’usage de ma raison ; dans ces cas, le retour de la réflexion n’est autre chose que le redressement de nos notions : le regret à son tour peut en naître, et c’est ce qui se verra par l’amélioration de la conduite, dans la mesure du possible. Il faut toutefois en faire la remarque, pour se duper soi-même, on se ménage parfois des précipitations apparentes : au fond, alors, ce sont des actions secrètement préméditées. Car nous ne mettons jamais tant d’art à mentir et à flagorner que quand il s’agit de nous duper nous-mêmes. — Parfois le contraire du cas ci-dessus peut aussi arriver : par excès de confiance en autrui, par ignorance de la valeur relative des biens de ce monde, ou par l’effet de quelque dogme abstrait, auquel depuis j’aurai cessé de croire, j’ai pu agir avec trop peu d’égoïsme pour mon caractère ; par là je me serai apprêté des regrets d’un genre tout différent. Mais, dans tous les cas, le regret est un renversement de notre notion du rapport entre un acte et son but véritable. — Quand la volonté révèle ses Idées sous la simple loi de l’espace, seulement par des formes, la matière, déjà soumise à d’autres Idées, à savoir les forces naturelles, résiste et rarement permet à la forme d’arriver à la lumière, vers laquelle elle s’efforce, dans sa plénitude et dans sa pureté, autrement dit dans sa beauté. De même aussi, quand la volonté se manifeste dans le temps seul, par des actes, elle trouve un obstacle dans l’intelligence, qui rarement lui fournit avec exactitude les données nécessaires : aussi est-il bien difficile que l’acte réponde parfaitement à la volonté ; et de là le regret. L’origine du regret, c’est donc toujours un redressement des notions, jamais un changement dans la volonté, changement du reste impossible. Le remords inspiré par la faute est d’ailleurs bien différent du regret : c’est un chagrin qui vient de la connaissance qu’on prend de sa propre nature en soi, c’est-à-dire considérée en tant que volonté. Il suppose la vue claire de cette vérité, à savoir qu’on n’a pas cessé d’être cette même volonté. Supposez-la changée, alors le remords n’est qu’un pur regret, et ce