Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/36

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répugnance à me copier moi-même qu’à copier les autres, et je ne saurais d’ailleurs donner de mes idées une nouvelle exposition plus claire que la première ; au lieu donc de me répéter, je renvoie le lecteur à ma Dissertation, le supposant au courant de la question que j’y ai traitée.

L’apprentissage de la vision chez les enfants et les aveugles-nés qui ont été opérés ; la perception visuelle simple, malgré les deux impressions que reçoivent les yeux ; la vision double ou la sensation tactile également double, quand l’organe du sens est plus ou moins dérangé de sa position naturelle ; le redressement des objets par la vue, lorsque leur image vient se peindre renversée au fond de l’œil ; l’application de la couleur, phénomène tout subjectif, aux objets ; le dédoublement de l’activité de l’œil par la polarisation de la lumière ; enfin les effets du stéréoscope : toutes ces observations constituent autant d’arguments solides et irréfutables pour établir que l’intuition n’est pas d’ordre purement sensible, mais intellectuel ; on peut dire, en d’autres termes, qu’elle consiste dans la connaissance de la cause par l’effet, au moyen de l’entendement : elle suppose donc la loi de causalité. C’est cette loi qui, d’une manière primitive et absolue, rend possible toute intuition, par suite toute expérience ; on ne saurait donc la tirer de l’expérience, comme le veut le scepticisme de Hume, qui se trouve ruiné définitivement et pour la première fois, par cette considération. Il n’existe, en effet, qu’un moyen d’établir que la notion de causalité est indépendante de l’expérience et qu’elle est absolument a priori : c’est de montrer que l’expérience est, au contraire, sous sa dépendance. Or, cette démonstration n’est possible qu’en procédant comme nous venons de le faire et comme nous l’avons exposé tout au long dans les passages cités plus haut : il faut prouver que la loi de causalité est déjà impliquée d’une manière générale dans l’intuition, dont le domaine est égal en extension à celui de l’expérience. Il s’ensuit qu’une telle loi est absolument a priori par rapport à l’expérience, qui la suppose comme condition première, loin d’être supposée par elle. Or, les arguments de Kant, dont j’ai fait la critique dans ma Dissertation sur le principe de raison, § 23[1], ne suffisent pas à établir cette vérité.

  1. P. 128 et suiv. de la traduction française.