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moquerie, en face des inexprimables douleurs de l’humanité. — Mais il ne faut pas aller croire que la foi chrétienne soit favorable à l’optimisme : bien au contraire, dans les Évangiles, le monde et le mal sont pris quasi comme termes synonymes[1].


§ 60.


Nous en avons fini avec les deux analyses qu’il nous fallait intercaler dans notre exposition : celle de la liberté qui appartient à la volonté en soi, et de la nécessité propre à ses phénomènes ; et celle du sort qui attend cette volonté dans le monde où elle se reflète, et dont elle doit prendre connaissance pour se prononcer sur le point de savoir si elle s’affirmera elle-même, ou se niera. Maintenant nous pouvons considérer cette affirmation et cette négation elles-mêmes, car jusqu’ici nous n’en avons parlé que pour en donner une idée générale ; il s’agit de les éclairer en plein, et pour cela d’exposer les façons de vivre par lesquelles l’une et l’autre s’expriment, et d’en voir la signification.

L’affirmation de la volonté, c’est la volonté elle-même, subsistant avec l’intelligence et n’en étant point affaiblie, telle enfin qu’elle s’offre en général, emplissant la vie de l’homme. Or le corps est une première manifestation de la volonté, sous les conditions déterminées par le degré et l’individu dont il s’agit ; et la volonté développée dans le temps n’est, de son côté, que la paraphrase du corps, une explication de ce qu’il signifie, tant dans son ensemble que dans ses parties ; cette volonté-là n’est donc qu’une révélation de la même chose en soi dont le corps est une première forme visible. Nous pouvons par conséquent dire, au lieu d’affirmation de la volonté, affirmation du corps. Le thème sur lequel la volonté, par ses actes divers, exécute des variations, c’est la pure satisfaction des besoins qui, en l’état de santé, résultent nécessairement de l’existence même du corps : ce corps déjà les exprime ; et ils se ramènent à deux points : conservation de l’individu, propagation de l’espèce. C’est par rapport à eux seulement que les motifs les plus variés ont prise sur la volonté et engendrent les actes les plus multiples. Chacun de ces actes n’est qu’une preuve, un exemple de la volonté qui se manifeste dans son ensemble par ces besoins : quant à la forme de cette preuve, quant à l’aspect du motif, c’est

  1. Sur ce point, voir le chapitre XLVI des Suppléments.