Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/428

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enveloppé de voiles et de nuages, se présente à nous, chez les mystiques, avec une clarté et une signification parfaites. En un mot, je considère le Nouveau Testament comme la première et les mystiques comme la seconde initiation, — σμικρα και μεγαλα μυστηρια.

Maintenant, nous allons retrouver bien plus développé, exprimé, avec une complexité et une force bien plus grandes qu’on ne pouvait s’y attendre dans le monde occidental, chez les chrétiens, ce que nous avons appelé la négation du vouloir-vivre, dans les antiques ouvrages de la langue sanscrite. Si cette importante conception morale de la vie a pu atteindre ici un si haut degré de développement, et s’exprimer d’une façon si complète, il faut en chercher la cause dans ce fait, qu’elle n’a pas été renfermée dans des limites qui lui sont absolument étrangères. C’est ce qui est arrivé pour le christianisme, enfermé dans le dogmatisme juif, auquel Jésus, consciemment, ou peut-être même s’en sans douter, a dû nécessairement se soumettre, par où le christianisme est composé de deux éléments essentiels très hétérogènes, dont je voudrais ne retenir que l’élément moral et l’appeler exclusivement chrétien, après en avoir séparé tout le dogmatisme judaïque. Si l’on a pu craindre souvent, et surtout à notre époque, que cette grande et salutaire religion ne vînt à tomber en discrédit, cela tient, selon moi, à ce qu’elle consiste en deux éléments hétérogènes à l’origine, et réunis ensuite par les circonstances ; leur séparation, résultant de leur antipathie naturelle et de la réaction de l’esprit du siècle de plus en plus éclairé, amènerait, à la vérité, l’effondrement qu’on redoute, mais l’élément moral en sortirait intact, parce qu’il est indestructible. — Dans la morale des Hindous, telle que nous la connaissons actuellement, si imparfaite que soit notre connaissance de leur littérature, nous voyons prescrire, sous les formes les plus variées, de la façon la plus saisissante, dans les Védas, les Pouranas, dans leurs poèmes, leurs mythes, leurs légendes sacrées, leurs sentences et leurs préceptes de conduite : l’amour du prochain avec le renoncement absolu de soi-même, l’amour universel embrassant non seulement l’humanité, mais tout ce qui vit ; la charité poussée jusqu’à l’abandon de ce qu’on gagne péniblement chaque jour ; une patience sans borne à supporter les outrages ; le paiement du mal, si dur que cela puisse être, par la bonté et l’amour ; la résignation volontaire et joyeuse aux injures, l’abstention de toute nourriture animale, la chasteté absolue, le renoncement aux voluptés, par celui qui s’efforce vers la sainteté parfaite ; se dépouiller de ses richesses, abandonner toute habitation, quitter les siens, vivre dans l’isolement le plus profond, abîmé en une contemplation silencieuse ; s’infliger une pénitence volontaire au milieu de lents et terribles supplices, en vue d’une mortification complète de la volonté, poussée finalement